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INSTRUCTION PUBLIQUE.

ment, ou expressément : grand et profitable travail pour l’intelligence. Certes, on n’aurait pas perdu les huit ans passés dans un collége, si on en sortait capable de déterminer une foule de mots, qui n’existent pas pour les géomètres ni pour les chimistes, et qui pourtant ne sont pas sans valeur dans ce monde ; les mots : ame, nation, devoir, liberté.

C’est donc seulement dans les régions élevées de la science, où manque la trace des maîtres, ou bien lorsque l’application vient poser des problèmes imprévus, que les ressources de l’imagination et la puissance du raisonnement deviennent nécessaires. Mais alors, se trouverait-on en mesure d’opérer, si l’on n’avait pas fait de son intelligence un instrument à la fois solide et souple, étendu et pénétrant ? Personne n’oserait soutenir que les facultés de l’esprit sont un don gratuit du hasard. Dans l’ordre moral, comme dans le monde terrestre, la Providence ne fournit que des germes. Toute aptitude naturelle demande à être dirigée. Chaque art a des procédés particuliers pour développer le mécanisme qui lui est propre. Un chanteur s’essouffle pendant dix ans pour assouplir sa voix. Un axiome de caserne est qu’il faut aussi dix ans pour faire un cavalier. En descendant jusqu’aux dernières industries, on verrait qu’on n’y obtient la dextérité requise que par une longue pratique. L’art de conduire sa pensée ferait-il exception ? Il n’en est rien. La force morale a plus besoin d’exercice encore que la force physique. Nous croyons que l’esprit n’acquiert cette vivacité qui le tient continuellement en éveil, que par des habitudes prises dans un long et laborieux apprentissage, et nous répétons que la gymnastique la plus favorable à son développement consiste dans les études grammaticales et littéraires, surtout chez les enfans qui ne peuvent recevoir les leçons souveraines de l’expérience.

Si les auteurs anciens restent pendant huit ans entre les mains des élèves, ce n’est pas seulement afin que ceux-ci puissent remonter plus tard aux sources de la tradition. Si l’on ne se proposait que de les conduire à l’intelligence des textes grecs et latins, on obtiendrait ce résultat en deux ans par la méthode pratique usitée pour les langues modernes. Le but véritable est de faire vivre les jeunes gens dans la fréquentation des hommes qui ont su le mieux diriger leur pensée, de ceux qui ont fondé leur domination légitime par la solidité de leur jugement et l’éclat de leur parole. L’analyse des écrivains classiques, éclairée par des maîtres habiles, conduit, non pas à une acquisition de mots hors d’usage, comme les gens illettrés le supposent ; elle est une initiation à cette grande science du langage dans laquelle l’esprit fait l’épreuve de sa justesse et de sa force ; elle est le commentaire vivant et lumineux des lois obscures de la grammaire et des arides formules de la logique. On arrive, il est vrai, au terme des études scolastiques, sans être un homme spécial ; on n’a pas encore un état ; seulement on a développé en soi une aptitude générale qui donne chance de primer dans quelque état que ce soit. Le fidèle écho de la sagesse antique, Montaigne, a dit : — « La science qu’on choisira, ayant déjà le jugement formé, on en viendra facilement à