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lemande, d’un légitimiste et d’un radical, d’un orthodoxe et d’un panthéiste ? Nous savons qu’en général on revêt la prudence avec la robe de professeur, et que le maître, en présence des élèves, fait le sacrifice de ses opinions aux convenances scolastiques. Mais l’élève ne se laisse pas tromper par ce manége. Les enfans, suivant la remarque des moralistes, subissent des attractions et des répulsions qui sont la mesure exacte de l’intérêt qu’on leur porte. L’homme, qui ne monte en chaire que pour faire son métier, soulève autour de lui le malaise et la défiance. Sa parole sèche et contrariée dans son jet ne développe aucun germe de conviction. S’il est savant, il transmet des faits, groupe des argumens, tourmente des chiffres, descend dans les mots ; mais il fait éclore le doute en même temps que la science ; le ver grandit avec le fruit.

Le seul moyen, s’il en est, de corriger cette dissonnance de principes, est d’harmoniser, autant que possible, les livres qu’on met entre les mains des enfans. Il serait à désirer que le livre parlât plus haut que le maître, et que celui-ci ne fût plus que le commentaire vivant d’un texte sanctionné. Il faudrait qu’on possédât une série d’ouvrages répondant aux matières enseignées et à la coordination des classes, de telle sorte qu’ils formassent un cours complet d’études ; mais surtout qu’ils respirassent tous un même sentiment et tendissent aux mêmes affirmations par les chemins divers que tracent la littérature, l’histoire et la philosophie. Ces ouvrages devraient être forcément et invariablement suivis dans tous les colléges royaux. Il ne serait pas à craindre qu’une telle uniformité immobilisât la science, puisqu’elle ne maintiendrait que les conclusions morales, sans exclure les améliorations de détail. Les prétentions à l’indépendance que chacun fait valoir ne seraient pas non plus compromises, puisque ceux qui, par caprice ou esprit de parti, croiraient devoir protester contre les principes universitaires, seraient libres de placer leurs enfans dans les établissemens particuliers.

Nous nous abusons si peu sur les difficultés d’une pareille entreprise, que nous ne la proposons ici que comme un vœu, et que nous n’oserions pas affirmer qu’il fut possible aujourd’hui de la mettre en pratique. Le but que nous indiquons a été entrevu plus ou moins clairement par tous ceux qui ont écrit pour la jeunesse : ce but n’a pas encore été atteint. Pour ne parler que du temps présent, la spéculation marchande, dont l’instinct est un indice assez sûr des besoins d’une époque, destine aux écoles un tiers au moins des produits de la presse, et cependant les ouvrages essentiels sont encore à désirer. Notre assertion n’a rien d’exagéré ; nous pouvons l’appuyer sur des témoignages irrécusables. M. Matter, inspecteur-général de l’Université, vient de publier la seconde édition[1] d’un ouvrage qui annonce un sentiment profond des devoirs de l’instituteur. Nous y lisons (page 114) : — « Jusqu’ici, dans aucun livre, la grammaire n’a été mise à la portée de l’enfance. » — Nous lisons aussi dans le catalogue des livres désignés par l’Université pour l’année scolaire 1834-1835 : — « Il n’existe aucun ouvrage qui ait paru au con-

  1. Le Visiteur des écoles. In-8o, chez Hachette.