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REVUE LITTÉRAIRE.

Et qu’un saule pleureur aux longs bras qui se plient
Seul se plaigne sur vous.

Tout ce qui suit, d’une énergie croissante, a sa vérité funèbre ; le dialogue du ver et de la trépassée, l’apparition de Raphaël dont le masque se ranime et profère contre le siècle des cris d’anathème et de désespoir, ces scènes fantastiques s’admettent dans la situation et dans le monde où l’auteur nous transporte ; on résiste d’abord à l’horreur, mais bientôt on y cède, tant les coups sont redoublés et souvent puissans.

Le second point de vue, la Mort dans la Vie (et ces espèces de jeux de mots symétriques, vie dans la mort, mort dans la vie, sont bien dans le goût du moyen-âge), présente une vérité réelle plus aisée à reconnaître, tout ce qu’il y a de mort et d’enseveli au fond de l’ame de ceux qui passent pour vivans :

Et cependant il est d’horribles agonies
Qu’on ne saura jamais ; des douleurs infinies
Que l’on n’aperçoit pas.
Il est plus d’une croix au calvaire de l’ame,
Sans l’auréole d’or, et sans la blanche femme
Échevelée au bas.

Toute ame est un sépulcre où gisent mille choses…

Dans le voyage à la Lénore, que fait ensuite le poète, il est bien à lui de nous présenter le vieux Faust qui, désabusé de la science où il n’a pu trouver le dernier mot, dit pour conclusion : Aimez, car tout est là ! tandis que don Juan, au contraire, désabusé de ses amours sans fin, renvoie à Faust ou à Salomon, et s’écrie : Étudiez, apprenez ! Mais on admet moins aisément que Napoléon, qui est ensuite évoqué, conseille Tityre et Amaryllis, et regrette de n’avoir pas été berger en Corse. La grande figure historique récente ne se prête pas à la palinodie morale comme ces êtres de fantaisie, Faust et don Juan, qui flottent, depuis des siècles, au gré de la tradition et des poètes.

En somme, la première et principale pièce du recueil de M. Théophile Gautier a, je le répète, profondeur et sincérité. Si elle reproduit tout-à-fait la mythologie et le fantastique des moralités et des peintures du moyen-âge, elle n’en est pas un simple pastiche ; le manque absolu de foi et l’idée de néant qu’y jette l’auteur, en deviennent l’inspiration originale ; après tout, cette image physique de la mort, horrible, détaillée, continuelle, obsédante, ce n’est que celle qu’avaient les chrétiens de ces âges pieusement effrayés ; mais le poète, en prenant les images sans la foi, les éclaire d’une lueur plus livide, et qui les renouvelle suffisamment. Il a senti (certains de ses accens l’attestent) le mal qu’il a exprimé avec tant de violence ; l’angoisse du néant a passé par là.

Voilà pour l’éloge ; mais, à peine sorti de cette pièce, et en continuant la lecture du volume à travers les autres pièces de tous les tons qui le composent, on ne tarde pas à s’apercevoir que le procédé de l’auteur ne se conforme pas tou-