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L’USCOQUE.

reuses aumônes. Il la voyait dépérir, et il ne doutait pas, d’après ce qu’il avait recueilli des propos des serviteurs du château, qu’elle ne fût pour son époux un objet de haine ou de dédain. Le jour qui précéda l’incendie du château, il la vit encore : elle paraissait mieux portante, mais fort agitée. Écoute, lui dit-elle ; tu vas porter cette boîte au lieutenant de vaisseau Mezzani ; et elle prit, sur sa table, un petit coffre de bronze, qu’elle lui mit presque dans les mains. Mais elle le lui retira aussitôt, et, changeant d’avis, elle lui dit : Non ! tu pourrais payer ce message de ta vie ; je ne le veux pas. Je trouverai un autre moyen… Et elle le renvoya sans lui rien confier, mais en le chargeant d’aller trouver le lieutenant et de lui dire de venir la voir tout de suite. Le vieillard fit la commission. Il ignore si le lieutenant se rendit à l’ordre de la signora Giovanna. Le lendemain, l’incendie avait dévoré le donjon, et Giovanna Morosini était ensevelie sous les ruines. »

Ezzelin se tut. — Est-ce là tout ce que vous avez à dire, seigneur comte ? lui dit l’examinateur.

— C’est tout.

— Voulez-vous produire vos preuves ?

— Je ne suis point venu ici, dit Ezzelin, en me vantant de produire les preuves de la vérité ; j’y suis venu pour dire la vérité telle qu’elle est, telle que je la possède en moi. Je ne songeais point à amener Orio Soranzo au pied de ce tribunal, lorsque j’ai acquis la certitude de ses crimes. En revenant à Venise, je ne voulais que le chasser de ma maison, de ma famille, et remettre son sort entre les mains de l’amiral. Vous m’avez sommé de dire ce que je savais, je l’ai fait ; je l’affirmerai par serment, et j’engagerai mon honneur à le soutenir désormais envers et contre tous. Orio Soranzo pourra soutenir le contraire, il pourra fort bien affirmer par serment que j’en ai menti. Votre conscience jugera, et votre sagesse prononcera qui de lui ou de moi est un imposteur et un lâche.

— Comte Ezzelin, dit Morosini, le conseil des dix fera de votre assertion l’appréciation qu’il jugera convenable. Quant à moi, je n’ai pas de jugement à formuler dans cette affaire, et, quelque douloureuses que soient mes impressions personnelles, je saurai les renfermer, puisque l’accusé est dans les mains de la justice. Je dois seulement me constituer en quelque sorte son défenseur jusqu’à ce que vous m’ayez sous tous les rapports ôté le courage de le faire. Vous avez avancé une autre accusation que j’ai à peine la force de rappeler, tant elle soulève en moi de souvenirs amers et de sentimens doulou-