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MUSICIENS FRANÇAIS.

çoivent qu’ensuite et successivement : dès-lors il est tout simple qu’ils s’attardent. N’importe : M. Berlioz, lui aussi, voulut faire sa préface de Cromwell ; ce que l’école nouvelle essayait d’accomplir au nom de la poésie, il résolut de le tenter au profit de la musique ; et là commence peut-être l’erreur la plus grave où M. Berlioz se soit jamais fourvoyé.

La révolution romantique était une révolution toute de forme ; il s’agissait alors d’introduire la nature dans notre poésie qui manquait d’air et de soleil. De là les aspirations de tant de poitrines généreuses vers les rosées de l’Allemagne, vers les sereines vapeurs de l’Angleterre, vers les chaudes bouffées que les vents du midi apportaient d’Italie ou d’Espagne. Comme on le voit, ce mouvement, qui n’avait pour but qu’une sorte d’infusion d’élémens étrangers dans notre langue poétique, se trouvait naturellement circonscrit entre les limites du pays. Au-delà du Rhin, de la Manche ou des Pyrénées, notre révolution littéraire ne pouvait trouver d’écho. Or, la musique, comme la poésie, n’est pas d’une langue, mais de toutes. Prétendre convertir en réforme musicale la réforme littéraire, c’était ne rien entreprendre du tout, et ce qu’on pouvait vouloir tenter à cette occasion se trouvait dès long-temps accompli. La musique ne se traduit pas ; pour qu’elle passe d’une langue dans une autre, il suffit qu’on l’exécute, et pour cette fois la tâche du réformateur se bornait à l’imitation, plus ou moins laborieuse, plus ou moins susceptible de succès, des chefs-d’œuvre de Beethoven ou de Weber. Voilà ce que M. Berlioz n’a pas senti. En outre, une révolution musicale au profit de la seule forme ne s’accomplira jamais. Quoi qu’on dise, la mélodie est tout ; ces ingénieuses théories qu’on n’invente guère sans raison se dissipent à sa venue. La mélodie, c’est l’ame immortelle de la musique, la lumière qui sème l’ordre et la clarté dans le chaos des sons, et quand les siècles se sont amoncelés sur l’œuvre, quand la partie périssable est tombée en poussière, le seul point qui tremble encore dans le crépuscule du passé. Quelle confiance peut-on mettre dans une forme incessamment soumise aux caprices d’une convention qui change tous les jours, dans un art dont la destinée est de flotter dans le vide, et qui pour domaine a l’infini ? En poésie, au moins, les conditions ne changent pas si vite, et d’un siècle à l’autre on peut s’entendre. Ce qui fut vraiment beau par le fond et la forme au temps de Louis XIV l’est encore aujourd’hui. Nul ne songe à contester à Corneille son grand air de Romain et de Castillan, la ligne correcte et vigoureuse de son style ; à Racine la mollesse flottante de sa période, la grace composée