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MUSICIENS FRANÇAIS.

que vous l’égarez dans l’abîme. La musique a le cœur humain, c’est là qu’elle s’éveille en palpitant et qu’elle chante à l’amour comme l’oiseau matinal au soleil ; car elle seule dispose à souhait et presque sans partage de cette passion féconde : seule entre tous les arts, elle en peut rendre l’extase, la volupté, les mille sentimens contraires qui rayonnent autour comme autant de facettes lumineuses d’un inappréciable diamant. La musique a le cœur humain ; et que lui voulez-vous de plus ? C’est là que Desdemone d’Otello a trouvé la romance du Saule, Caroline du Matrimonio ses mélodieuses tristesses, dona Anna sa plainte sublime. Vous trouveriez-vous par hasard à l’étroit dans ce monde sonore du cœur humain qui a suffi à Mozart, à Cimarosa, à Rossini ? Ah ! s’il en est ainsi, vous êtes dieu. Alors grandissez jusqu’au ciel, prenez l’espace, prenez l’univers tout entier, roulez-vous au caprice de votre aile de flamme dans les vapeurs de l’infini ; mais ne vous plaignez pas si la multitude vous méconnaît, et si, quand vous portez la main sur ses idoles les plus chères, elle vous blasphème et vous raille. D’ailleurs, que vous importe le blâme ou la louange de cette multitude que vous dédaignez et dont vous n’avez jamais voulu tenir compte ? Ne vous reste-t-il pas, pour vous consoler de l’abandon des hommes, la conscience de votre force personnelle, et les acclamations dans la solitude d’un petit nombre d’amis, espèces d’anachorètes de l’art qui vont à votre gloire comme ils iraient au désert, pour laisser croître leur barbe et leurs cheveux ?

Or, c’est tout juste contre cette mélodie, heureuse, agréable, charmante, qu’un rhythme facile ramène à certains intervalles ménagés à souhait, contre cette mélodie qui n’en veut ni à votre raison, ni à votre vie, qui vous laisse l’ame et le corps dispos, et vous enchante par degrés, sans épuiser du premier coup, en les absorbant, toutes les facultés de votre sensation, contre la mélodie italienne enfin, que M. Berlioz s’élève de toute l’énergie de son intolérance fougueuse. Soit instinct originel d’un caractère naturellement excentrique, soit parti pris de donner cours aux théories sur lesquelles tout chef d’école joue l’avenir de son nom, M. Berlioz s’obstine à chercher dans la musique des effets qu’il n’est pas en elle d’exprimer, tandis qu’en revanche il semble prendre plaisir à négliger ses plus beaux dons. Que dirait-on d’un homme qui voudrait cueillir à toute force des lilas sur un églantier en fleurs ? Cet homme-là se piquerait les doigts jusqu’au sang, voilà tout. Pour M. Berlioz, la musique n’est ni cette bacchante effrénée et lascive qui tue Mozart dans un baiser de feu, ni la belle fille aux cheveux dénoués et couronnés de myrte, aux