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MUSICIENS FRANÇAIS.

loir. Il est vrai qu’en matière d’art la volonté dérive plus que partout ailleurs de la puissance, premier don du génie. Or, combien de gens, pour sauver au moins les apparences, affectent de ne vouloir pas ce qu’ils ne peuvent, et cherchent à masquer l’insuffisance de leur esprit sous les faux semblans d’un caractère invincible. Encore une fois, l’art des sons n’est en aucune manière l’art des hiéroglyphes. On ne nous fera pas croire qu’il y ait au monde un musicien assez égoïste, ou plutôt assez simple, pour vouer d’avance toute sa vie à la contemplation solitaire de son œuvre. Dire qu’on ne compose que pour soi et pour un petit nombre d’amis privilégiés, c’est essayer vainement de donner satisfaction à son amour-propre refoulé. Nul ne renonce volontiers aux tumultueuses ovations du succès, aux enivrantes fumées de l’encens populaire. Il y a entre l’œuvre et le public un point de contact et de sympathie qu’il faut saisir, et sur lequel les hommes de génie ne manquent jamais de frapper juste, sans engager en aucune façon l’indépendance de leur nature ; concession intelligente faite au sentiment de tous, et non au mauvais goût, comme on a voulu le prétendre. Le mauvais goût n’est pas inné. La nature ignore parfaitement le sens qu’il nous a plu de donner à cette parole. Émouvoir les cordes mélodieuses, mais assoupies, du cœur humain, apparemment c’est là le but que la musique se propose. Le mauvais goût n’a donc rien à voir ici ; le mauvais goût, c’est tout simplement l’exagération, dans un but de facile succès, de cette concession faite à l’ame universelle, à ces vagues pressentimens, que chacun porte en soi, du vrai et du beau dans les arts. Le mauvais goût n’est pas dans la multitude, mais chez l’artiste. — Avant tout, il s’agit de se faire comprendre. La mélodie est comme la ligne ; elle se laisse saisir et tombe sous le sens. Chercher sa renommée en dehors de l’adhésion unanime, c’est folie et vanité. Que m’importe, à moi, que toutes les musiques du ciel et de la terre chantent en vous, si je n’en saisis pas un son ? L’affaire du génie, c’est de savoir transmettre les idées qui lui viennent d’en haut ; si cette faculté vous manque, vous êtes un homme comme les autres hommes ; vous aurez beau parler à la multitude de votre élection, elle ne vous répondra que par son sourire. Et quelle raison la multitude aurait-elle de vous croire ? Alors, puisque vous ne pouvez convier vos semblables au spectacle de ces mondes d’harmonie qui grondent en vous, jouissez-en seul et sans bruit ; oubliez-vous dans les extases de Pythagore, dans les hallucinations de Paracelse ; éprouvez une à une, dans l’isolement, toutes les sensations sublimes de Mozart et de Beethoven, toutes, excepté