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robe et leur chapeau de castor noir coquettement incliné en arrière, de bonnachis avec leurs bérets blancs, de bourgeoises, la tête enveloppée, comme les femmes russes, d’une vaste draperie, le guardaspalle, qu’elles tiennent de la main droite sous leur menton, et qui dessine autour du visage un pudique ovale plein de grâce. D’autres, plus jeunes, étaient aussi couvertes d’un châle de mousseline blanche, qu’elles nomment harmonieusement mantellina. Les plus pauvres s’enveloppaient à demi le visage et les épaules sous leur brune piddemia, qui cachait de ses plis la misère de leurs haillons. Ainsi qu’à Naples et dans le midi de l’Italie, la vie est tout extérieure à Palerme. Les maisons sont ouvertes, les boutiques ne sont pas même défendues par un rideau, et vos regards plongent jusqu’au fond du rez-de-chaussée, si vous êtes à pied, et de l’entresol, si vous parcourez le Cassaro en voiture ou à cheval. À l’heure où nous débarquâmes, c’était avant midi, les rayons du soleil, dardant sur le sommet des hauts palais qui bordent la rue principale, ne descendaient pas encore sur les larges dalles dont elle est pavée ; mais la lumière de l’Orient, dont on jouit déjà en Sicile, dessine encore plus les objets qu’en Italie. Les lignes sont si nettes, si pures, les masses de pierre des maisons, les angles des édifices, les sculptures, se détachent avec tant de vigueur sur le fond de l’air, que les moindres détails s’offrent avec intérêt à l’œil de l’habitant du nord, dont le regard est habitué à errer dans cette sorte d’atmosphère trouble, qui, même dans les plus beaux jours, enveloppe les paysages de l’Occident. Les voyageurs ont souvent parlé de cet effet, qu’ils éprouvent en mettant le pied en Italie, et qu’on ressent déjà dans nos provinces méridionales de la France. Plus on marche vers l’orient, plus cet effet est sensible ; et j’attribue à cette circonstance le bien-être qui s’empare de l’homme lorsqu’il entre dans ces latitudes heureuses. C’est alors comme un réveil qui lui vient ; il se sent doué d’une seconde vue toute matérielle, et son esprit pénètre dans un ordre de beautés tout nouveau pour lui. Ce charme tombé du ciel ne m’a jamais été révélé plus vivement et plus puissamment qu’en Sicile ; mais ceux qui ne l’ont pas ressenti doivent renoncer à le comprendre. Cette prodigieuse transparence de l’atmosphère, l’intensité de cette lumière, cette pureté de l’horizon, ne sont que des mots vides quand on n’en a pas vu les effets.

Je cherchais vainement les traces de la mortalité qui venait de frapper le tiers de la population de Palerme ; et, sans les lugubres vêtemens noirs dont presque tous les habitans étaient couverts, sans