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si pure, si transparente, si fluide, qu’il semble qu’elle passe immédiatement, et sans traverser le clavier ou l’orchestre, des profondeurs de son cerveau dans le gosier sonore de la cantatrice.

Il y a, dans les arts, des lois fondamentales que nul ne viole impunément. Permis à certains esprits, ivres d’eux-mêmes, de croire qu’ils vont ôter le rhythme à la musique et la ligne à la peinture, et de se mettre en tête qu’il existe des combinaisons d’instrumens et de couleurs qui peuvent tenir lieu de toute beauté sonore et plastique. Admirables théories bonnes à débiter l’hiver, au coin du feu, quand on est entouré d’un cercle d’amis complaisans, dont on pétrit le goût comme une cire molle, entre ses doigts, mais qu’il faut répudier bien vite, sitôt que le désir de la réalisation vous prend au cœur, à moins qu’on ne veuille s’exposer gaiement aux plus tristes déboires. Il me semble que les hommes qui entrent ainsi dans la carrière, avec le dessein arrêté de se donner à la foule pour des esprits supérieurs, devraient reculer sans cesse, jusqu’au bout, toute épreuve définitive ; de la sorte ils pourraient concilier long-temps, sinon toujours, la stérilité du sol de leur pensée avec l’exubérance de leur amour-propre, et, de son côté, la troupe des amis sonnerait à loisir sa fanfare. Quels chefs-d’œuvre, en effet, n’est-on pas en droit d’attendre d’une imagination qui s’effeuille çà et là, par fragmens qu’on daigne à peine rassembler ? Produire, en pareille circonstance, c’est se briser le front sur un écueil qu’il s’agissait de tourner habilement jusqu’à la fin. Le moyen, aux amis de M. Berlioz, de nous le donner maintenant pour un Beethoven ! Hier c’était possible.

La partition de M. Berlioz semble un défi porté aux lois essentielles de l’art ; il n’y est tenu compte ni de la voix, sacrifiée sans cesse aux prétentions turbulentes de l’orchestre, ni du rhythme, cet irrésistible moyen d’action, cette musique innée qui trouve son écho dans toutes les poitrines. Quoi donc ! il y a, dans votre art, un effet sympathique, prompt, infaillible, un effet qui ne s’adresse pas seulement à l’intelligence, mais à la vie du cœur et des artères ; un effet aussi vieux que le monde, dont Orphée se servait pour émouvoir les grands bois de la Thrace, et qui, du chantre antique, est venu jusqu’à nous, jusqu’à Rossini, en passant par les plus hautes cimes de l’intelligence ; et cet effet, vous le répudiez un beau matin, par boutade, et vous croyez qu’il dépend de vous de l’anéantir ! Mais ce besoin impatient, que ressent tout homme qui subit l’influence des sons, vous le comptez donc pour rien ? Ôter le rhythme de la musique, autant vaudrait empoisonner les fontaines pour guérir l’homme de la soif. Où ferez-vous