Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
REVUE DES DEUX MONDES.

Le bill de réforme, imposé, en 1832, aux répugnances de Guillaume IV, par les exigences de l’opinion et les menaces des populations soulevées, fut, pour l’Angleterre, un produit manifeste, une émanation directe de la révolution qui venait de changer en France et la dynastie régnante, et l’esprit, si ce n’est la forme, du gouvernement. Mais, transplantée au-delà de la Manche, l’idée française n’était pas destinée à s’assimiler une société qui depuis si long-temps vivait de sa vie propre : le tronc antique sur lequel elle s’est greffée s’est trouvé assez vigoureux pour l’enlacer à ce point, qu’elle peut paraître en ce moment comme étouffée sous ses rameaux.

En voyant la réforme parlementaire arrachée par les cris de la multitude et les manœuvres d’associations formidables, en entendant sur les hustings, et jusqu’au sein de Westminster, mettre en question la pairie et ses prérogatives héréditaires, on put se croire à la veille d’un de ces cataclysmes qui bouleversent la face des empires.

La France le crut ainsi, parce qu’elle jugea d’après elle-même. Aussi s’étonna-t-elle bientôt d’avoir à attendre si long-temps des conséquences qui, pour elle, auraient été prochaines ; et lorsqu’elle voit aujourd’hui la Grande-Bretagne déposer avec amour sur le front d’une jeune reine la couronne d’Alfred-le-Grand ; lorsqu’après de violentes attaques à la pairie et à l’établissement religieux, attaques qui ont retardé le triomphe des idées modernes à raison même de leur violence, elle aperçoit le parti whig incertain de son avenir, la chambre réformée presque dominée par le torysme, l’église établie déployant des ressources inattendues, et le pays en réaction vers les doctrines conservatrices ; lorsqu’en 1838 sir Robert Peel se croit plus sûr de conquérir le pouvoir qu’en 1828 il ne l’était de le garder, l’opinion libérale s’étonne et s’émeut parmi nous de résultats aussi peu prévus, et parfois elle est tentée de répéter, avec quelques organes du plus violent radicalisme, que le bill de réforme fut un leurre dont aucune conquête n’est sortie, et que l’énergie populaire pourra seule arracher l’Angleterre aux influences aristocratiques qui la dominent.

Or, c’est ici très mal interpréter ce qui se passe actuellement en ce pays. Le parti tory s’y est relevé puissant, il est vrai, d’une chute qui, ailleurs, aurait été mortelle ; mais s’il reconquiert jamais le pouvoir, ce sera pour l’exercer selon des idées qui ne sont pas les siennes, et pour continuer, dans l’ordre administratif, des réformes qui en prépareraient d’inévitables dans l’ordre politique. Si les vieilles existences, entourées depuis tant de siècles des respects populaires,