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conscience. Il semble, à voir leurs habitations, qu’ils se contentent de vivre aujourd’hui, et qu’ils ne sont pas sûrs d’exister demain. On disait d’un peuple de l’antiquité, qu’il bâtissait comme s’il devait vivre éternellement ; assurément, c’est le contraire, qu’on serait tenté de dire des habitans de la nouvelle Athènes, en voyant leur ville.

Ce qu’il y a de plus fâcheux dans cet amas de constructions, faites sans plan, sans choix, sans goût, sans solidité, c’est que, pour produire à la hâte cette ville moderne, on a perdu l’occasion, on a sacrifié l’espoir de retrouver ce qui restait de la ville antique, et qui valait mieux, dans le moindre de ses débris, que toute la capitale du royaume de Grèce. Figurez-vous, mon cher ami, l’état dans lequel la guerre avait laissé la ville que vous aviez habitée. Aucune maison n’était restée debout ; presque toutes les églises étaient démolies aux trois quarts. Ce n’étaient partout que pans de murs demeurés sans toitures, du milieu desquels apparaissaient, pour la première fois, depuis que Byzantins, Goths, Francs, Vénitiens, Turcs, Albanais, avaient, à l’envi les uns des autres, détruit et défiguré l’œuvre des Grecs, des débris de murs antiques, des tronçons de colonnes, des morceaux d’architraves et de corniches, employés comme matériaux dans une maçonnerie de tous les âges. C’était le dernier coup de la haine que les Turcs, en la quittant, avaient cru donner à la Grèce ; c’était en effet le dernier service qu’ils pouvaient lui rendre, en découvrant ainsi ces précieux restes d’antiquités, enfouis dans des constructions grossières, où personne jusqu’ici, artiste ou antiquaire, ne se fût avisé de les chercher. Vous aviez vu la maison de M. Fauvel, ornée sur tous ses murs, sur son escalier, sur sa galerie, de fragmens de marbres, de stèles, de bustes, de têtes antiques : c’était là l’œuvre patiente et industrieuse d’un ami de l’antiquité, recueillant avec soin et disposant avec goût tout ce qui lui tombait sous la main de fragmens antiques. Mais vous ne vous doutiez pas, ni vous, ni M. Fauvel, qu’il existait, à peu de distance, des restes du portique de Jupiter Sauveur dans la maison Barbanos ; que des chapiteaux corinthiens du Pompéion se trouvaient dans la maison Isaïe ; que tout un angle du Pœcile était caché dans une maison voisine ; qu’un débris plus considérable encore du gymnase de Ptolémée servait d’appui à une autre maison ; que près de là, deux rangées de figures colossales, formant un portique, dans la direction de ce gymnase au temple de Thésée, étaient enfermées, avec leurs piédestaux, dans des murs d’une maçonnerie grossière. Il fallait une guerre d’extermination, comme celle que les Turcs faisaient à la Grèce, pour découvrir ces restes antiques, en détruisant ces murs modernes ; et c’était là, comme je le disais tout à l’heure, un service réel que la barbarie rendait elle-même à la science.

Qu’a fait de cette œuvre des Turcs la sagesse des Bavarois ? J’ai honte pour eux, et c’est cependant un devoir pour moi de le dire. Dans la précipitation qu’on a mise à bâtir ici une ville, du moment qu’on y avait placé une cour, on a dû couvrir presque partout ces restes précieux, à peine exhumés, et non encore étudiés ou connus. Le tombeau où gisait l’antiquité, et que