Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
REVUE DES DEUX MONDES.

fesseur n’eût pu rentrer sans marcher sur moi ; d’ailleurs, cette porte ne s’ouvrait qu’en dedans par un fort loquet de forme ancienne. J’y touchai, et je m’assurai qu’il était fermé. Je fus pris de terreur, et je restai quelques instans sans oser faire un pas. Adossé contre la porte, je cherchais à percer de mon regard l’obscurité dans laquelle les angles de la salle étaient plongés. Une lueur blafarde, tombant d’une lucarne à volet de plein chêne, tremblait vers le milieu de cette pièce. Un faible vent tourmentant le volet, agrandissait et diminuait tour à tour la fente qui laissait pénétrer cette rare lumière. Les objets qui se trouvaient dans cette région à demi éclairée, le prie-dieu surmonté d’une tête de mort, quelques livres épars sur le plancher, une aube suspendue à la muraille, semblaient se mouvoir avec l’ombre du feuillage que l’air agitait derrière la croisée. Quand je crus voir que j’étais seul, j’eus honte de ma timidité, je fis un signe de croix, et je m’apprêtai à aller ouvrir tout-à-fait le volet ; mais un profond soupir qui semblait partir du prie-dieu me retint collé à ma place. Cependant je voyais assez distinctement le prie-dieu pour être bien sûr qu’il n’y avait personne. Une idée que j’aurais dû concevoir plus tôt vint me rassurer ; quelqu’un pouvait être appuyé dehors contre la fenêtre, et faire sa prière sans songer à moi. Mais qui donc pouvait être assez hardi pour émettre des vœux et prononcer des paroles comme celles que j’avais entendues ?

La curiosité, seule passion et seule distraction permise dans le cloître, s’empara de moi. Je m’avançai vers la fenêtre ; mais à peine eus-je fait un pas, qu’une ombre noire, se détachant, à ce qu’il me parut, du prie-dieu, traversa la salle en se dirigeant vers la fenêtre, et passa devant moi comme un éclair. Ce mouvement fut si rapide, que je n’eus pas le temps d’éviter ce que je prenais pour un corps, et ma frayeur fut si grande, que je faillis m’évanouir une seconde fois. Mais je ne sentis rien, et, comme si j’eusse été traversé par cette ombre, je la vis disparaître à ma gauche.

Je m’élançai vers la fenêtre, je poussai le volet avec précipitation, je jetai les yeux dans la sacristie, j’y étais absolument seul ; je les promenai sur tout le jardin, il était désert, et le vent du midi courait sur les fleurs. Je pris courage, j’explorai tous les coins de la salle, je regardai derrière le prie-dieu, qui était fort grand ; je secouai tous les vêtemens sacerdotaux suspendus aux murailles, je trouvai toutes choses dans leur étal naturel, et rien ne put m’expliquer ce qui s’était passé. La vue de tout le sang que j’avais perdu me porta à croire que mon cerveau, affaibli par cette hémorragie, avait été en proie à une