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demandent à leur travail une place honorable dans la société qui les convie et les attend. La société appelle les générations nouvelles à l’activité de la vie avec une maternelle tendresse ; elle sait encourager les talens, oublier les erreurs, et n’a de sévérité que pour le crime et la folie. N’avons-nous pas vu, depuis huit ans, succomber tous ceux qui se sont entêtés à l’impossible ? Ils se sont perdus dans leurs violences et dans leurs chimères. Mais aujourd’hui il faut reconnaître que le sentiment de la réalité, de la pratique sociale, pénètre de plus en plus dans les esprits ; la raison publique s’affermit, et il devient plus difficile de la séduire ou de l’égarer.

Si la paix règne dans la société, pourquoi le feu est-il dans certains journaux ? Que conclure de ce contraste, si ce n’est qu’ils se trompent ou qu’ils veulent tromper ? Dans le premier cas, ils sont peu clairvoyans ; dans le second, peu véridiques. On pourrait concevoir que des écrivains, dans la sincérité de leurs opinions démocratiques, trouvassent des dangers dans ce calme universel, qu’ils craignissent que la sécurité devînt de l’apathie, qu’ils voulussent empêcher l’activité pour les affaires particulières de dégénérer en abandon des intérêts publics. Il y a toujours des conseils utiles à donner à une société, dans quelque situation qu’elle se trouve, et il est toujours permis d’éveiller sa sollicitude sur elle-même et sur ses devoirs. Mais pour y réussir, pour s’en faire écouter, la véracité est nécessaire. Il faut que l’écrivain commence par reconnaître les progrès accomplis, s’il veut en provoquer d’autres : qu’il ne calomnie ni les citoyens ni le gouvernement qu’il désire morigéner ; car sans cette bonne foi, loin de persuader, il révoltera, et la vérité même, si elle lui échappe, pourra devenir, dans sa bouche, un objet de dédain et de dégoût. Voilà pourtant, monsieur, les beaux résultats obtenus par certains organes de la presse opposante ; on dirait un parti pris de choquer le sens public, de s’inscrire en faux contre la réalité. Les colères de quelques journaux semblent croître avec la tranquillité générale ; et comme l’indifférence de tous les irrite encore davantage, elles montent à une exaltation vraiment pitoyable. On voit, dans son abandon, la presse opposante s’attaquer à tout, faire de toute chose un grief contre le gouvernement ; dernièrement une feuille reprochait au ministère les troubles qui avaient éclaté à Stockholm ; il n’arrive pas un accident en Europe dont les ministres ne doivent être responsables, et la presse leur crie comme Ariane délaissée dans l’île de Naxos :

Le roi, vous et les dieux, vous êtes tous complices.