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REVUE DES DEUX MONDES.

Leurs cris d’angoisse terrifient,
Leurs yeux éteints se pétrifient :
On ne voit plus que trois géans
De rocs nus et blancs.

Les coursiers se cabrent, les chevaliers s’enfuient ; et l’un d’eux, l’un des anciens amans, Arthur, le tendre troubadour, entre dans un cloître ; c’est lui qui, en pleurant toujours sa belle, a donné, dit-on, le premier récit. On sent dans toute cette ballade des traces certaines, énergiques ou gracieuses, d’une antique rédaction : il faut lire la pièce en entier. Ce fort de Joux, où Mirabeau écrivait ses lettres brûlantes à Sophie, ne manquait pas, on le voit, en son beau temps, de tragédies d’amour. Dans les poésies qui sont de M. Demesmay, et où il a mis sa forme élégante aux souvenirs poétiques de sa patrie, on reconnaît un disciple souvent heureux de l’école de 1828, un lecteur enthousiaste des Odes et Ballades. Beaucoup de sensibilité, de simplicité, fait aisément pardonner çà et là moins de force et d’originalité qu’on ne voudrait. Partout dans cet agréable, instructif et somptueux volume, respire l’enfant passionné de sa contrée, l’écrivain désintéressé et bon, qui se croira trop comblé s’il fait agréer à quelques amis compatriotes, non pas son monument, mais son offrande. Dans une dernière pièce, intitulée les Bluets, il compare ses vers à cette simple fleur, qui suffit à la bergère :

De même il en advient pour tes vers, ô poète !
Le sage, qui voit tout des yeux de la raison,
Loin de lui les repousse, et, secouant la tête,
Il se dit : à quoi bon ?…

Qu’importe ce dédain ? si parfois une femme,
Pensive, en les lisant, à la fuite du jour,
Sent son œil qui se mouille et son cœur qui s’enflamme
À tes récits d’amour ;

Si, parmi les amis qu’a chéris ton enfance,
Un seul peut-être, un seul qui t’aurait oublié,
Y trouve avec bonheur quelque ressouvenance
D’une ancienne amitié ;

Ou si d’enfans chéris une troupe rieuse
Qu’amusent tes récits, que charment tes accens,
En t’écoutant, devient meilleure et plus joyeuse,
Et t’aime pour tes chants :

Ce rêve est assez beau pour enivrer ton âme !
Que t’importe la gloire et la postérité ?