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le commerce et l’industrie étaient arrivés à un haut degré de splendeur, l’agriculture florissait, et le bien-être général dont jouissait la nation, avait répandu en elle un surcroît de vitalité qui lui prêta les forces et l’énergie nécessaires pour la lutte dans laquelle elle s’engagea avec toute sorte de raison, sans doute, mais où elle eût peut-être succombé, si elle avait été faible et misérable comme l’était, par exemple, la Sicile, quand je la visitai. La Sicile venait d’être livrée à de grandes agitations ; mais à peine quelques bataillons suisses se furent-ils montrés, que l’ordre se rétablit sans peine. Supposez la Sicile florissante, riche, abondamment pourvue de toutes ses anciennes ressources, sa noblesse en possession de ses droits féodaux, riche et énergique, au lieu d’être pauvre et affaiblie par ses catastrophes domestiques, la lutte eût été terrible et se fût peut-être terminée par de nouvelles vêpres. Tout s’est, au contraire, réduit aux proportions d’un mouvement partiel, comprimé en peu de jours et comprimé de lui-même presque partout. Ici donc, comme en quelques pays de vieille civilisation, on pourra dire encore que si la misère fait des émeutes, l’abondance fait des révolutions.

Je voudrais bien qu’on ne se méprît pas à mes paroles ; je plaiderai, dans ces pages, la cause de la Sicile et non celle du gouvernement napolitain. Je la plaiderai parce que la Sicile est malheureuse, parce que le devoir de tous les gouvernemens est de travailler au bonheur des nations qui leur sont confiées par la Providence ou par les congrès, sans se demander ce qui résultera de l’accomplissement de cette tâche. Peu importe, en droit politique, si la misère, ou toute autre cause, a empêché les Siciliens de se lever en masse, comme au temps de Procita, et si la maladie qui dévorait sa population, si l’isolement, disons le mot, l’abandon où se trouvait la Sicile dans ces circonstances cruelles, n’y a fait naître, au lieu de soulèvemens généraux, que des émeutes aussitôt éteintes, que des excès sans but commis par la plus basse populace. Si la misère a causé ces maux, il faut se hâter de faire cesser cette misère, et le remède est dans les mains du gouvernement napolitain. Je vous le prouverai bientôt.

La bonne politique ne s’accommode pas plus que la morale de ces calculs qui consistent à retenir un peuple dans l’abjection et dans la misère, pour le soumettre plus facilement. La Russie, qui se permet de grands excès d’autorité envers la Pologne, ne l’oserait pas elle-même, et la même main qui arrache au peuple polonais son costume national, et qui élève des citadelles menaçantes aux portes de la ca-