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REVUE. — CHRONIQUE.

comme cause principale ou comme accessoire. C’est, par exemple, une certaine agitation au Caire, puis la destitution d’un cheick accusé de quelques méfaits, mais coupable surtout d’avoir sans cesse réclamé la restitution des propriétés saisies. Plus tard encore, la vie et la puissance de Méhémet-Ali sont menacées par une conspiration, et au nombre des conjurés se trouvent des chefs turcs ou albanais qui ont perdu leurs villages. Une étude plus approfondie de ce qui s’est passé en Égypte, depuis 1814, ferait peut-être découvrir des tentatives de résistance plus nombreuses, et il n’est pas douteux que cette confiscation en masse des propriétés territoriales ne soit un fait essentiel dans l’économie sociale du peuple égyptien. Mais les détails que je viens de donner suffisent au but que je me propose. Il en résulte d’abord que la mesure fut exécutée, malgré les obstacles plus ou moins graves qu’elle put rencontrer ; en second lieu, que la constitution économique de l’Égypte permettait d’envisager une pareille entreprise, sinon comme toute simple, du moins comme très praticable, et lui ôtait ce caractère de monstrueuse violence qu’elle aurait partout ailleurs qu’en Orient.

Ces faits établis, voici les conclusions qu’on en peut tirer : Il n’y a plus, à peu d’exceptions près, d’intermédiaire en Égypte entre la puissance souveraine, représentée par le pacha, et le paysan qui cultive la terre. Tous les cultivateurs sont les fermiers ou les ouvriers du vice-roi. C’est donc au vice-roi que la récolte appartient. Seul, il a le droit de fixer l’espèce de culture à laquelle sera consacrée telle ou telle partie du sol. Ce n’est pas, à proprement parler, un monopole qu’il exerce en se réservant la vente des cotons ou autres produits, car il ne les achète pas au propriétaire. Il est payé en nature par son fermier, qu’il indemnise autrement de son travail. Je crois présenter ici sous leur véritable jour les rapports du pacha d’Égypte avec le fellah. C’est parce que le premier est le seul propriétaire du sol, qu’il est le seul marchand des produits, et que le second est obligé de les verser directement dans ses magasins. Aussi a-t-on justement comparé l’Égypte à une grande ferme, dans laquelle les préfets et gouverneurs de provinces exercent, avec le pouvoir politique, des fonctions analogues à celles des surveillans du travail des nègres dans les plantations des colonies. Telle est donc la source de mes doutes sur l’abolition des monopoles dans les pays gouvernés par Méhémet-Ali. Il est évident que si la propriété territoriale y est constituée comme je l’ai dit, la suppression du monopole de ses produits entraîne un changement dans sa constitution même. Ceci ne s’applique, il est vrai, qu’au monopole des produits à exporter. Si Méhémet-Ali s’est encore attribué le droit d’acheter seul au marchand étranger certains objets de consommation pour les revendre en détail à la population égyptienne, soit directement, soit par des intermédiaires, je reconnais que ce droit lui est enlevé par l’acceptation du traité de commerce qui nous a engagés dans l’examen de cette question. Je sais qu’il existe effectivement des monopoles de ce genre sur les importations. Le pacha perdrait en y renonçant ; mais pour ceux-là, du moins,