Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/360

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
356
REVUE DES DEUX MONDES.

voilà le résumé de presque toutes nos pièces. Si Phèdre brûle pour Hippolyte, ce n’est plus Vénus offensée qui la condamne au supplice de l’amour, ce sont les entrailles d’une marâtre qui s’émeuvent à l’aspect d’un beau jeune homme. La divinité n’intervient plus dans nos fables ; nous n’avons plus de ces terribles prologues où un Dieu irrité sort d’un palais et appelle le malheur sur ceux qui l’habitent ; Apollon et la Mort ne se disputent plus Alceste ; Hercule ne vient plus la tirer de la tombe ; si nous voulions faire un nouvel Œdipe, il n’exciterait que l’horreur et le dégoût, car sa rencontre avec Laïus et son mariage avec Jocaste, n’étant plus annoncés par un oracle, ne pouvant plus amener la peste après eux, ne seraient plus que de hideuses débauches d’imagination ; chez nous, l’homme est seul, et ses vices, ses vertus, ses crimes, lui appartiennent.

J’ai déjà dit que je ne pourrais entrer ici dans les subdivisions, ni parler, par conséquent, de la tragédie pathétique ou morale, simple ou implexe, des révolutions, des reconnaissances, ni des combinaisons qui résultent, chez les anciens comme chez les modernes, du mélange des deux systèmes. Au risque d’être repris justement, je ne puis m’occuper des exceptions.

Voici maintenant ce qui arriva ; Corneille ayant établi que la passion était l’élément de la tragédie, Racine survint qui déclara que la tragédie pouvait n’être simplement que le développement de la passion. Cette doctrine semble au premier abord ne rien changer aux choses ; cependant elle change tout, car elle détruit l’action. La passion qui rencontre un obstacle et qui agit pour le renverser, soit qu’elle triomphe ou succombe, est un spectacle animé, vivant ; du premier obstacle en naît un second, souvent un troisième, puis une catastrophe, et, au milieu de ces nœuds qui l’enveloppent, l’homme qui se débat pour arriver à son but, peut inspirer terreur et pitié ; mais, si la passion n’est plus aux prises qu’avec elle-même, qu’arrive-t-il ? une fable languissante, un intérêt faible, de longs discours, des détails fins, de curieuses recherches sur le cœur humain, des héros comme Pyrrhus, comme Titus, comme Xipharès, de beaux parleurs, en un mot, et de belles discoureuses qui content leurs peines au parterre ; voilà ce qu’avec un génie admirable, un style divin, et un art infini, Racine introduisit sur la scène. Il a fait des chefs-d’œuvres sans doute, mais il nous a laissé une détestable école de bavardage, et, personne ne pouvant parler comme lui, ses successeurs ont endormi tout le monde.

Faut-il lui en faire un reproche, et pouvait-il faire autrement ?