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DE LA TRAGÉDIE.

s’il les connaît, il en fera usage. Ainsi le genre mitoyen sera insuffisant pour le premier de ces deux hommes, dangereux ou inutile pour le second ; l’un brisera la chaîne, l’autre la resserrera.

Si la tragédie reparaît en France, j’ose avancer qu’elle devrait se montrer plus châtiée, plus sévère, plus antique, que du temps de Racine et de Corneille. Dans toutes les transformations qu’elle a subies, dans tous les développemens, dans toutes les altérations qui l’ont dégradée, il y avait une tendance vers le drame. Lorsque Marmontel proposa de changer de décorations à chaque acte ; lorsque l’Encyclopédie osa dire que la pièce anglaise de Beverley était aussi tragique qu’Œdipe ; lorsque Diderot voulut prouver que les malheurs d’un simple particulier pouvaient être aussi intéressans que ceux des rois, tout cela parut une décadence, et tout cela n’était que la préface du romantisme. Aujourd’hui le drame est naturalisé français ; nous comprenons Gœthe et Shakspeare, aussi bien que Mme de Staël ; l’école nouvelle n’a encore, il est vrai, produit que des essais, et son ardeur révolutionnaire l’a emportée, comme dirait Molière, un peu bien loin ; mais nous ferons mieux plus tard, et le fait reste accompli. Or, par cette raison même que le drame est adopté, il me semble que la tragédie, si elle veut renaître et vivre, doit reprendre son ancienne allure avec plus de fierté que jamais. Depuis Voltaire, elle n’a presque toujours été qu’un prétexte, qu’une espèce de thème, au moyen duquel on s’exerçait à tout autre chose, et souvent à la détruire elle-même. Le romantisme, cherchant à se faire jour, s’introduisait dans la tragédie pour la ronger, comme un ver dans un fruit mûr ; et il ne manque pas de gens à présent qui croient le fruit desséché ou pourri. Si Melpomène veut reparaître sur nos théâtres, il faut qu’elle lave ses blessures.

Ne serait-ce pas une belle chose que d’essayer si, de nos jours, la vraie tragédie pourrait réussir ? J’appelle vraie tragédie, non celle de Racine, mais celle de Sophocle, dans toute sa simplicité, avec la stricte observation des règles.

Pourquoi ne traiterions-nous pas des sujets nouveaux, non pas contemporains ni trop voisins de nous, mais français et nationaux ? Il me semble qu’on aimerait à voir sur notre scène quelques-uns de ces vieux héros de notre histoire, Duguesclin ou Jeanne d’Arc chassant les Anglais, et que leurs armures sont aussi belles que le manteau et la tunique.

Ne serait-ce pas une entreprise hardie, mais louable, que de purger la scène de ces vains discours, de ces madrigaux philoso-