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MARGOT.

d’avance une large part dans son testament. Mlle Ursule ne l’ignorait pas ; aussi faisait-elle profession d’aimer sa maîtresse plus qu’elle-même, et n’en parlait-elle que les yeux au ciel avec des soupirs de reconnaissance.

Il va sans dire que Mlle Ursule était la véritable maîtresse au logis. Pendant que Mme Doradour, enfoncée dans sa chaise longue, tricotait dans un coin de son salon, Mlle Ursule, affublée de ses clés, traversait majestueusement les corridors, tapait les portes, payait les marchands, et faisait damner les domestiques ; mais dès qu’il était l’heure de dîner, et dès que la compagnie arrivait, elle apparaissait avec timidité, dans un vêtement foncé et modeste ; elle saluait avec componction, savait se tenir à l’écart, et abdiquer en apparence. À l’église, personne ne priait plus dévotement qu’elle, et ne baissait les yeux plus bas ; il arrivait à Mme Doradour, dont la piété était sincère, de s’endormir au milieu d’un sermon ; Mlle Ursule lui poussait le coude, et le prédicateur lui en savait gré. Mme Doradour avait des fermiers, des locataires, des gens d’affaires ; Mlle Ursule vérifiait leurs comptes, et en matière de chicane, elle se montrait incomparable. Il n’y avait pas, grâce à elle, un grain de poussière dans la maison ; tout était propre, net, frotté, brossé, les meubles en ordre, le linge blanc, la vaisselle luisante, les pendules réglées ; tout cela était nécessaire à la gouvernante pour qu’elle pût gronder à son aise, et régner dans toute sa gloire.

Mme Doradour ne se dissimulait pas, à proprement parler, les défauts de sa bonne amie, mais elle n’avait su, de sa vie, distinguer en ce monde que le bien. Le mal ne lui semblait jamais clair ; elle l’endurait sans le comprendre. L’habitude, d’ailleurs, pouvait tout sur elle ; il y avait vingt ans que Mlle Ursule lui donnait le bras, et qu’elles prenaient le matin leur café ensemble. Quand sa protégée criait trop fort, Mme Doradour quittait son tricot, levait la tête, et demandait de sa petite voix flûtée : « Qu’est-ce donc, ma toute-bonne ? » Mais la toute-bonne ne daignait pas toujours répondre, ou, si elle entrait en explication, elle s’y prenait de telle sorte que Mme Doradour revenait à son tricot en fredonnant un petit air, pour n’en pas entendre davantage.

Il fut reconnu tout à coup, après une si longue confiance, que Mlle Ursule trompait tout le monde, à commencer par sa maîtresse ; non-seulement elle se faisait un revenu sur les dépenses qu’elle dirigeait, mais elle s’appropriait, en anticipation sur le testament, des hardes, du linge, et jusqu’à des bijoux. Comme l’impunité enhardit elle en était enfin venue jusqu’à dérober un écrin de diamans, dont