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REVUE DES DEUX MONDES.


Le seul bruit de tes pas ravive dans mon cœur
Des souvenirs tout pleins d’une exquise douceur
De repos et de rêverie.
Marche donc, mon enfant, image du passé ;
Ranime mon esprit qui, voyageur lassé,
Se traîne vers l’hôtellerie.

L’hôtellerie est loin, et le ciel est chargé.
Oh ! qui m’enseignera le chemin ombragé,
[1] Car il fait chaud sous les nuées !
Le chemin ombragé, c’est toi, mon bel enfant,
Toi plus doux à mon cœur que le soupir du vent,
Ou le bruit des mers refluées.

Tout s’en va, mon cher ange, avec le flot des jours :
L’homme voit au tombeau descendre ses amours
Et ses espoirs les plus superbes.
Tu me tombas alors des trésors du Seigneur,
Comme un épi doré que trouve le glaneur
Dans un champ dépouillé de gerbes.

Ton fracas me rappelle à de charmans tableaux,
Aux jours où je faisais retentir mes sabots
Sur le parquet large et sonore.
J’eus une mère, enfant, un père, comme toi,
J’eus une aïeule aussi qui cultivait ma foi,
Bien-aimés que je pleure encore.

J’éveillais le logis avant le point du jour.
Toute bouche pour moi n’avait que miel d’amour,
Que caressantes gronderies.
De mon humeur fantasque on craignait les courroux ;
Et j’aurais, en jouant, toujours aimé de tous,
Brisé glaces et pierreries.

Sur mon front de cinq ans, j’avais toujours des fleurs ;
Le temps, comme une plume, emportait les douleurs
Et de mon corps et de mon âme ;
Une rose en avril me jetait en transports ;
De la vie en mes sens abondaient les trésors ;
Je voltigeais comme une flamme.

Tels qu’un rayon de mai, tous ces trésors ont fui ;
Les heures de santé sont rares aujourd’hui ;
Il a neigé sur la montagne ;

  1. Locution des paysans de Bretagne.