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faut conseiller à M. Stanislas Cavalier, après ce premier essai qui est comme un voyage de curiosité et une visite émue dans le monde de poésie, c’est de choisir, s’il se peut, quelque endroit non occupé, ne fût-ce qu’aux rebords des chemins, de le marquer pour sien, et de le féconder assez pour avoir le droit de dire : Ceci est à moi ! car le tien et le mien, c’est la première loi de l’art.

La littérature de poésies et de romans modernes, la plus épineuse et la plus chatouilleuse de toutes, ayant peu donné depuis quelque temps, nous sommes heureux d’aborder une critique plus positive sur des œuvres qui du moins ont un fond dans le passé.

§ ii. — LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE.

Le livre du très chevalereux comte d’artois et de sa femme[1]. — Aux époques voisines encore des origines chrétiennes, les mystérieuses odyssées des hommes qui avaient soumis la Gaule à la foi, semblaient seules destinées à amuser la facile curiosité du peuple, et la légende, qui n’est, à vrai dire, que le roman chrétien, fut long-temps la source unique où s’inspira l’imagination des conteurs. Plus tard, les traditions nationales, les souvenirs éclatans du règne de Charlemagne enfantèrent de barbares épopées, où les guerriers, comme les saints dans la légende, semblaient avoir reçu du ciel une puissance surhumaine. Les preux de l’empereur d’Occident terrassaient les Sarrasins, comme les apôtres des Gaules avaient terrassé le démon. Le poème, ainsi que la légende, eut des croyans, et le roman historique, qui flattait les instincts guerriers du temps, s’enrichit bientôt des traditions galliques et saxonnes, recueillies par les Anglo-Normands, et, plus tard, de tous les souvenirs des croisades.

Aux XIIe et XIIIe siècles surtout appartient, dans ce genre, toute une littérature féconde et complète, trop long-temps étudiée au seul point de vue linguistique. L’école bénédictine, qui savait et a fait tant de choses, avait prêté peu d’attention à ces premiers monumens de notre langue, peut-être à cause de leur cachet tout profane et de la nature de certains détails, qui répugnaient à sa piété, tout en intéressant sa science. Ces précieux débris du passé ont enfin été remis en lumière ; on a fouillé les XIIe et XIIIe siècles pour y chercher des épopées chevaleresques, de naïfs ou malicieux romans ; mais la curiosité érudite semble, dans ces recherches, s’être imposé volontairement des bornes. La critique des introductions et des préfaces s’est éprise pour les poètes d’un enthousiasme quelquefois peu mesuré. Elle a dédaigné à tort les prosateurs, sans chercher si l’œuvre n’était point souvent moins imparfaite et d’une plus attachante lecture, sous les formes plus simples et mieux arrêtées de la prose. Elle s’est en quelque sorte bornée aux deux premiers siècles de la formation

  1. vol. in-4o avec 18 vignettes, publié par M. Barrois. Chez Techener, place du Louvre, 12.