Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/377

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
373
REVUE LITTÉRAIRE.

de notre langue, sans voir, comme l’avait fait dans ses limites la critique du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle, si les temps plus rapprochés de nous n’avaient pas produit d’œuvres meilleures.

Nous ne saurions donc trop louer M. Barrois d’avoir publié le charmant récit du XVe siècle, qui a pour titre : le Livre du très chevalereux comte d’Artois et de sa femme. La fraîcheur du style et l’originalité de la pensée qui fait le fond du récit, placent l’auteur inconnu de ce roman parmi les plus gracieux prosateurs de notre ancienne langue. Une pensée toute bienveillante a dicté ce livre au romancier ; c’est, dit-il, pour faire passer le temps en joie à ceux qui aiment les plaisantes lectures des anciennes histoires. Et certes, dans les rares loisirs de leur vie active et rude, les bourgeois du XVe siècle ont, nous n’en doutons pas, oublié plus d’une fois, à ce naïf récit, les faintises qui trop grièvent nature. Le comte d’Artois, le héros du roman, était, au temps passé, un chevalier accompli, plaisant à Dieu et aux hommes, et habile à toutes les vaillances. Un jour il se rendit à Boulogne, à une joute d’armes. Là, comme partout, il fut vainqueur ; mais là aussi, comme toujours, dans les tournois et les romans de chevalerie, la fille du comte de Boulogne jeta sur lui son œil et le blessa au cœur. L’auteur, après avoir dit avec une grace charmante les premières impressions de cet amour, raconte bientôt comment le comte d’Artois épousa la fille du duc de Boulogne, en sa ville d’Arras. Les noces furent splendides et durèrent quinze jours. Mais si vif qu’ait été l’amour du comte d’Artois, on le vit bientôt triste, rêveur et souvent appuyé aux fenêtres de son hôtel, pour songer. C’est que, depuis le jour des noces, plusieurs mois s’étaient écoulés, et qu’il avait perdu l’espoir de voir naître un héritier de son nom. Tout à coup une idée bizarre se présente à son esprit. Il abandonne sa femme et la prévient qu’il ne reviendra près d’elle que sous ces trois conditions : « C’est assavoir qu’elle fust ensainte de ses œuvres sans son sceu, et qu’elle eust de son gré son cheval, que moult amoit, sans qu’il en sceust riens, et qu’il luy eust donné son dyamant sans en rien scavoir… ainsois demoura en son propous, et détermina en soy le jour de son despartement. » Le comte prit donc avec lui ses hommes d’armes les plus déterminés, et, sans s’émouvoir du grand deuil et des tristes lamentations de sa femme, il se rendit d’abord à Paris pour voir, en passant, le roi de France ; puis il chevaucha vers l’Espagne, brisant des lances dans les tournois, et toujours prêt à se jeter au plus âpre de la mêlée, à courir les batailles les plus périlleuses et les plus félonnes, pour défendre la faiblesse ou la vertu. Aussi le commun peuple, qui admirait ses exploits, courait après lui en criant : « Bien vive la fleur de chevalerie ! » Mais tandis que le vaillant seigneur poursuivait ainsi ses aventures, la comtesse sa femme pleurait souvent, et bientôt, impatiente du veuvage, elle partit elle-même en habit dissimulé, et se mit en quête de son mari qu’elle regrettait si piteusement. Son adresse la servit à merveille ; le comte la choisit, sans la reconnaître, pour son valet de chambre, et, grâce à une ruse nouvelle, la première et la plus difficile des conditions imposées pour le retour du comte fut bientôt accomplie : les deux autres ne