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héroïques ils essaient, par de religieux sermons, de convertir leurs persécuteurs à la religion nouvelle. On leur enfonce alors, et toujours avec d’horribles détails, dont ne s’effrayaient pas les spectateurs de ce temps, de longues alènes dans les chairs. Le prévôt encourage ainsi les officiers du supplice :

Avant tirans ! je vous supplie,
Par nos dieux ! ne vous faingnez mie
À ces alesnes leur bouter
Aus mains, pour plus les tourmenter,
Jusquez au manche au bout des doys.

La Vierge Marie, touchée de ces douleurs, supplie le Christ de jeter un regard de compassion sur Crespin et Crespinien. Aussitôt Gabriel et Raphaël descendent sur terre, et les alènes s’échappent miraculeusement des plaies des martyrs, pour aller frapper les bourreaux qui meurent de leurs blessures et sont bientôt emportés par le diable. Le prévôt croit alors à un enchantement et donne aux deux martyrs de nouveaux bourreaux. On les jette donc dans l’Aisne ; mais un miracle les sauve encore, et ils sont reconduits en prison.

Alors commence la troisième journée. Dieu, la Vierge, Gabriel, Raphaël, viennent en personne consoler Crespin et Crespinien. Dieu leur dit :

Amis, ne soyez esbahis,
Car je suis Dieu de paradis
Qui vous viens icy visiter ;
Vos tourmens trestous apporter
Vous ayderay, n’en doubtez mie.
En la fin en ma compaignie
Serés noblement hostelés
Et de couronnes couronnés.

Après cette scène singulière, les deux martyrs sont condamnés à périr en une chaudière remplie de plomb fondu et d’huile bouillante. Un des tirans ou bourreaux dit en plaisantant horriblement Crespin :

Sà, maistre, nous vous baignerons ;
Entrés en ce beau baing icy…

Mais Dieu n’abandonne pas les apôtres. La chaudière éclate et tue Rictiovaire et les exécuteurs de ses lâches cruautés. Belzébuth vient aussitôt pour s’emparer de leurs ames :

En enfer vous en fault venir
Avec tous les diables d’enfer,
Où vous serés plus fort que fer
Tourmentés : desservi l’avés.
— Destourbet, cestui-là prenez
Et moi cestui…