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une forme barbare encore et dans la sphère même de l’orthodoxie, le grand mouvement qui doit bientôt s’accomplir. Calvin monte à son tour dans la tribune religieuse. M. Géruzez, dans le jugement qu’il a porté de ce chef de la réforme française, a su se défendre sainement de l’enthousiasme ou de la prévention. Il reconnaît, dans le prédicant de Genève, une intelligence active et forte, mais un cœur sec et dur, une ambition sans limites du pouvoir et de la renommée, et il signale les contradictions fréquentes du réformateur, qui écrit un traité de la clémence, fait brûler Servet, et réclame pour lui-même l’infaillibilité qu’il refuse au souverain pontife. Sévère à l’égard de Calvin, parce qu’il est juste, M. Géruzez garde cependant une pitié vive pour les martyrs de sa foi. Que la persécution parte de Genève ou du Louvre, il s’en indigne et la flétrit, parce qu’il a la conscience de ce respect qu’on doit toujours aux hommes rares qui donnent leur vie pour une conviction.

Le supplice d’Anne Dubourg, qui meurt en répétant au bourreau : Je suis chrétien, et prêche, du haut de son bûcher, la tolérance aux calvinistes, la vie si pure de l’Hôpital, ont donné à ce livre le texte de curieuses leçons. On lira surtout avec intérêt les pages d’études neuves en certains points de vue, que l’auteur consacre à l’admirable et cynique odyssée du curé de Meudon. « Panurge, dit M. Géruzez, c’est l’opposition au XVIe siècle. Panurge se taira quand un ordre nouveau se sera assis sur les ruines de la féodalité. Quand Pantagruel sera Louis XIV, Panurge demeurera muet ; il ne reprendra la parole qu’au moment où la monarchie s’ébranlera sur ses fondemens, et alors il trouvera un nouveau parrain. Ce parrain, ce sera Beaumarchais, et Panurge se nommera Figaro. » Le XVIe siècle, buveur, sceptique, bouffon, mais triste encore, se révèle tout entier dans les mystères horrifiques de la chronique de Pantagruel, et M. Géruzez a surpris plusieurs fois avec bonheur le secret de ces mystères.

Le travail de M. Géruzez est-il complet, et toujours suffisamment approfondi ? Ne pourrait-on pas lui reprocher, avec raison, de n’avoir exclusivement étudié les sermonnaires qu’au point de vue du rhétorisme, d’en avoir même omis plusieurs ? Ses aperçus sont ingénieux, mais ils se perdent parfois en filets assez minces, et sa pensée, alors un peu timide comme sa phrase, hésite et louvoie autour du sujet. Appelé à la difficile mission de suppléer M. Villemain à la Faculté des Lettres de Paris, M. Géruzez remplit depuis cinq années sa tâche avec persévérance. La partie de son cours qu’il publie aujourd’hui mérite l’attention par l’élégance soutenue du style, et par l’importance d’un sujet aussi neuf que curieux.


Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, nouvelle édition, par M. Augustin Thierry[1]. — La critique n’a plus à juger cette histoire. Sa destinée est faite et sa place marquée au premier rang des

  1. vol. in-8o, 5e  édition illustrée, chez Tessier, quai des Augustins.