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pour la civilisation romaine, qui s’inspire de Gibbon, et qui semble ne pas toujours reconnaître les bienfaits nouveaux apportés par la religion nouvelle, m’en paraissent une preuve convaincante. Dans la position qu’il a prise, M. Libri ne s’est-il pas placé un peu trop exclusivement au point de vue de l’Italie, où s’opère lentement et sous le joug de l’étranger cette révolution intellectuelle qu’un gouvernement facile a rendue plus prompte chez nous au XVIIIe siècle ? Je n’aurais pas le courage de blâmer une conviction inspirée par d’aussi nobles sentimens que l’amour sincère de la patrie opprimée ; mais pour nous, qui, libres de toute influence sacerdotale, avons passé par la haine de la théocratie, puis par l’indifférence, avant d’arriver à l’impartialité, nous ne comprenons plus ces préventions. Quoi qu’il en soit, et malgré ce reproche de vivacité un peu injuste à l’égard du christianisme, le livre de M. Libri respire à toutes les pages une morale austère et élevée, qui pourrait paraître à quelques-uns inspirée par l’Évangile.

Ce qui intéresse singulièrement dans le livre dont nous avons à parler, c’est le progrès sans bornes des sciences exactes. A-t-on surpassé Phidias dans les arts et Homère dans la poésie ? La philosophie elle-même ne revient-elle pas encore à l’étude de Platon et d’Aristote ? Il n’en est pas ainsi des mathématiques, et elles offrent le vrai tableau du progrès indéfini à travers les générations, qui recueillent l’héritage scientifique et le lèguent à leurs fils, perfectionné encore. L’origine des sciences en Italie se perd dans les cosmogonies antiques, et la civilisation des Étrusques en offre la première trace incontestable. Par malheur, les inscriptions étrusques sont écrites de droite à gauche, comme les idiomes sémitiques, et nous ne connaissons que l’alphabet, et non la langue. Quant aux chiffres, ils ressemblent beaucoup à des chiffres romains renversés. Il n’y a là qu’incertitudes et ténèbres, même dans les calculs chronologiques, car l’année, chez les anciens Italiens, n’était pas de même durée dans chaque ville, et les mois variaient de seize à trente-neuf jours. On a parlé, il est vrai, de la science fulgurale des prêtres étrusques, qui auraient connu les paratonnerres. Mais leurs menaces de la foudre, malgré le témoignage de Pline, de Tite-Live et de Zozime, étaient du charlatanisme, et il n’y faut pas plus croire qu’aux aérostats que supposerait l’excursion aérienne de Dédale. L’ouvrage de Lydus, De Ostentis, publié par M. Hase, dément cette supposition, et montre que les Étrusques ne cherchaient à préserver leurs vaisseaux de la foudre que par des voiles en peaux de phoques. D’ailleurs, les Étrusques n’étaient pas entièrement dépourvus de connaissances scientifiques ; un fragment de Labéon, cité par Lydus, montre qu’on avait alors sur le foyer central de la terre les mêmes idées qu’aujourd’hui. La chimie et la mécanique devaient aussi jouer un certain rôle chez un peuple qui découvrait les voûtes à voussoir, inconnues à l’ancienne Grèce et à l’Égypte, qui exécutait des statues de cinquante pieds de long, et des peintures qui ont pu parvenir jusqu’à nous. Cependant, tandis que l’imitation des Grecs triomphait chez les Étrusques, la science d’obser-