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chir, le grand coup de la réforme ? Problème d’une solution moins difficile, lorsqu’on ne se borne pas à juger les évènemens en eux-mêmes, et qu’on les étudie dans le milieu où ils se développent.

En France, la mise en vente et le morcellement des propriétés nationales, et la tendance constante des petits capitaux à se porter sur les immeubles, ont depuis long-temps créé une masse vraiment compacte d’intérêts moyens dont l’importance peut se mesurer au nombre seul des propriétaires. Ces intérêts ont eu à se défendre tour à tour et contre les efforts de l’ancienne aristocratie dépossédée, et contre une démagogie qui, dans des jours de triste mémoire, les a cruellement torturés. Ils se présentent donc avec une politique à eux, parfaitement distincte de toute autre.

En Angleterre, rien de semblable n’existait à l’époque de la pacification européenne, et rien de semblable, il faut le reconnaître, ne s’y est produit jusqu’à présent. La longue période de guerre contre la France augmenta, bien loin de la restreindre, la fortune des trente-deux mille grands propriétaires entre lesquels se partage aujourd’hui, comme au XVIe siècle, le sol entier du royaume. Le prix des fermages y doubla presque partout à raison des améliorations introduites dans la culture par une gentry maîtresse des banques de provinces et jouissant d’un crédit illimité. Pendant que la France dépeçait, pour les livrer à la circulation, ses propriétés de main morte, l’Angleterre opérait en sens opposé. À dater de 1790, en effet, on voit disparaître graduellement ce qui s’était formé de petites propriétés en dehors du système de la tenure féodale ; et, d’un autre côté, les défrichemens de communaux, autorisés par plusieurs milliers de bills d’inclosure, vinrent donner à la grande culture des développemens prodigieux[1].

Ainsi l’aristocratie britannique étendait son influence territoriale, tandis que le succès d’un système hardi, pour ne pas dire téméraire, venait l’absoudre aux yeux de la nation, et consolider son influence politique.

Aucun fait ne se produisit de nature à contrebalancer celui-là. L’industrie de l’Angleterre prit, il est vrai, un essor inoui, et son commerce éleva, dans les deux mondes, la masse de ses transactions à

  1. On lira avec fruit, sur l’état et les progrès de l’agriculture anglaise, le livre court, mais substantiel, de M. J. Porter, chef du bureau de statistique commerciale à Londres, complété et annoté par M. Chemin-Dupontès : Progrès de la Grande-Bretagne sous le rapport de la population et de la production. 4 vol. in-8o ; Paris, 1837.

    On ne saurait estimer, d’après l’auteur, à moins de quatre millions et demi d’acres (l’acre vaut quarante ares) la totalité des terres mises en culture durant la période de la guerre.