Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/486

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
482
REVUE DES DEUX MONDES.

ciers de la Suisse, ne connaît de Paris que l’Opéra, de la France que ses vins, de l’Europe que ses relais et ses bateaux à vapeur ; qui nous a apporté les bals pour les pauvres et les courses au clocher ; qui poursuit l’esprit français à la manière de tel noble auteur de fastidieux romans, ou se guinde à la philosophie sociale et aux grands airs à la suite de tel écrivain radical à la mode.

Ce n’est pas cette Angleterre-là qui sert de contre-poids et fait résistance à la première ; en face de celle-ci, la première n’en aurait pas pour un jour, et depuis long temps la brosse à cirage de Hunt aurait remplacé le vieil écusson normand, s’il n’y avait eu que la société d’Almach pour résister aux meetings populaires.

Au sein d’une tout autre Angleterre gît le principe de cette force latente qui permet à ce gouvernement de maintenir, contre tant de souffrances et de passions, l’antique constitution nationale, et donne pour base à la politique des trois royaumes la systématique oppression de l’un d’entre eux.

Quiconque a pris la peine d’observer avec soin les provinces d’Angleterre, depuis la Cornouaille jusqu’au comté de Norfolk, depuis le comté de Kent jusqu’à celui de Durham, n’a pu manquer d’être frappé du caractère profondément agricole empreint sur ce sol, sur ces mœurs, et jusque sur ces physionomies. Dans les comtés même les plus exclusivement envahis par l’industrie, comme le Lancashire et le Warwickshire, il semble que le génie manufacturier soit récemment superposé à un autre, qui lui résiste et lui dispute le terrain pied à pied. La propriété, partout ornée, témoigne qu’elle est l’objet de tous les soins, la source de toutes les jouissances de l’homme. Si dans les somptueux châteaux de la noblesse titrée, où, sous des arceaux gothiques, sont entassés les statues de la Grèce et les tableaux de l’Italie, vous retrouvez les mœurs de la société cosmopolite, ayez accès dans ces maisons plus modestes de la noblesse provinciale, et vous comprendrez sa toute-puissante influence politique, lorsque vous la verrez vivant là sur le sol, s’associant, d’un bout à l’autre de l’année, à tous les bonheurs de l’existence des champs. Un printemps humide et tiède, un été sec et chaud, des récoltes abondantes, des troupeaux gras et nombreux ; ici une nouvelle culture essayée à grands frais ; là une nouvelle conquête de la science étendant la puissance de la production ; toujours un intérêt qui remplit la vie sans la troubler par des orages.

À côté du country-gentleman vivent ses fermiers, enrichis par les corn-laws, et que des baux à vie ou à long terme associent à tous