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notre cœur les nouvelles rues de la Cité, mais sans admettre la nécessité absolue de détruire ce qui restait des anciennes églises de Saint-Landry et de Saint-Pierre-aux-Bœufs, dont les noms se rattachent aux premiers jours de l’histoire de la capitale ; et si le prolongement de la rue Racine eût porté un peu plus à droite ou à gauche, de manière à ne pas produire une ligne absolument droite de l’Odéon à la rue de La Harpe, il nous semble qu’on eût trouvé une compensation suffisante dans la conservation de la précieuse église de Saint-Côme, qui, bien que souillée par son usage moderne, n’en était pas moins l’unique de sa date et de son style à Paris. À Poitiers, la fureur de l’alignement est poussée si loin, que M. Vitet s’est attiré toute l’animadversion du conseil municipal, pour avoir insisté, en sa qualité d’inspecteur-général, pour le maintien du monument le plus ancien de cette ville, le baptistère de Saint-Jean, dont on place l’origine entre le VIe et le VIIIe siècle : malheureusement ce temple se trouve entre le pont et le marché aux veaux et aux poissons, et quoiqu’il y ait toute la largeur convenable pour que lesdits veaux et poissons soient voiturés tout à leur aise autour du vénérable débris d’architecture franke, il n’en est pas moins désagréable aux yeux éclairés de ces messieurs, déjà renommés par la destruction de leurs remparts et de leurs anciennes portes. Ils se sont révoltés contre la prétention de leur faire conserver malgré eux un obstacle à la circulation ; de là des pamphlets contre l’audacieux M. Vitet, dans lesquels il était dénoncé aux bouchers et aux poissardes comme coupable d’encombrer les abords de leur marché ; de là, demande au gouvernement d’une somme de douze mille francs, pour compenser cet irréparable dommage ; de là, plainte jusque devant le conseil d’état, où la cause de l’histoire, de l’art et de la raison, n’a pu triompher, dit-on, qu’à la majorité d’une seule voix. Terminons l’histoire de ces funestes alignemens, en rappelant qu’au moment même où nous écrivons, Valenciennes voit disparaître la dernière arcade gothique qui ornait ses rues, qui lui rappelait son ancienne splendeur, alors qu’elle partageait avec Mons l’honneur d’être la capitale de cette glorieuse race des comtes de Hainaut, qui alla régner à Constantinople. On y détruit la portion la plus curieuse de l’ancien Hôtel-Dieu, fondé en 1431 par Gérard de Pirfontaine, chanoine d’Anthoing, avec l’autorisation de Jacqueline de Bavière, et le secours de Philippe-le-Bon. On voit que les plus grands noms de l’histoire locale ne trouvent pas grace devant la municipalité de Valenciennes. Il faut, du reste, s’étonner de l’intensité tout-à-fait spéciale de l’esprit vandale, dans ces anciennes provinces des Pays-Bas espagnols, qui pouvaient naguère s’enorgueillir de posséder les produits les plus nombreux et les plus brillans de l’art gothique. Ce n’est guère que là, à ce qu’il nous semble, qu’on a vu des villes s’acharner après leurs vastes et illustres cathédrales, au point d’en faire disparaître jusqu’à la dernière pierre pour leur substituer une place, comme cela s’est fait à Bruges pour la cathédrale de Saint-Donat ; à Liége, pour celle de Saint-Lambert ; à Arras, pour celle de Notre-Dame ; à Cambray, pour celle de Notre-Dame aussi, avec sa merveilleuse flèche ! Ce n’est que là qu’on a vu,