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de ses chapelles, cette cathédrale inspire aux chefs de la cité à peu près autant de sympathie que Notre-Dame aux édiles parisiens. Ses abords, déjà encombrés d’une manière fâcheuse, le seront bientôt complètement par la construction d’un grand nombre de maisons sur l’emplacement du cloître, vendu pendant la révolution. Ce terrain pouvait être racheté par la ville pour une somme insignifiante ; mais, aux réclamations élevées par des personnes intelligentes et zélées, il a été répondu, par un magistrat, en ces termes : « Franchement, je ne m’intéresse pas aux édifices de ce genre ; c’est à ceux qui aiment le culte à l’appuyer. » Réponse digne, comme on le voit, de cette municipalité qui a eu le privilége de détruire le plus ancien monument historique de France, la tour de Louis d’Outremer, et qui passera à la postérité, flagellée par l’impitoyable verve de M. Hugo[1]. Ailleurs, c’est encore la même indifférence, ou plutôt la même aversion pour tout ce qui tient à l’histoire ou à l’art. À Langres, quelques jeunes gens studieux avaient humblement demandé au conseil municipal l’octroi de l’abside de Saint-Didier, la plus ancienne église de la ville (aujourd’hui enlevée au culte), afin d’y commencer un musée d’antiquités locales, institution vraiment indispensable dans une contrée où chaque jour, en fouillant le sol, on découvre d’innombrables monumens de la domination romaine. Mais le sage conseil a refusé tout net et a préféré transformer sa vieille église en dépôt de bois et de pompes. La guerre déclarée à une grande idée historique vaut bien la guerre faite à un monument ; voilà pourquoi nous allons encore parler de Dijon. Ce n’est pas assez pour cette ville d’avoir détruit, en 1803, sa Sainte-Chapelle, œuvre merveilleuse de la générosité des ducs de Bourgogne ; d’avoir transformé ses belles églises de Saint-Jean en magasin de tonneaux, de Saint-Étienne en marché couvert, et de Saint-Philibert en écuries de cavalerie ; nous allons citer un nouveau trait de son histoire. On sait que saint Bernard est né à Fontaines, village situé à peu près aussi loin de Dijon que Montmartre l’est de Paris. On y voit encore, à côté d’une curieuse église, le château de son père, transformé en couvent de feuillans, sous Louis XIII, et conservé avec soin par le propriétaire actuel, M. Girault[2]. On a ouvert dernièrement une nouvelle porte sur la route qui conduit à ce village : la voix publique, d’un commun accord, lui a donné le nom de porte Saint-Bernard, et le lui conserve encore. Mais devant le conseil municipal il en a été autrement. Lorsque cette proposition y a été faite, il s’est trouvé un orateur assez intelligent pour déclarer que saint Bernard était un fanatique et un mystique dont les allures sentaient le

  1. Ajoutons que le conseil général de l’Aisne vote près de deux millions par an pour ses routes, qu’il ne parvient pas à employer toute cette somme, mais qu’il refuse d’en consacrer un vingtième, un cinquantième, aux réparations urgentes de l’édifice le plus remarquable du département. Il se borne à exprimer le vœu que le gouvernement veuille bien le classer parmi les monumens nationaux, comme si tous les autres départemens n’avaient pas des cathédrales dignes d’être rangées dans la même catégorie.
  2. Bien loin d’imiter tant de propriétaires vandales, ou pour le moins indifférens, M. Girault a publié un fort bon opuscule, intitulé la maison natale de saint Bernard à Fontaine-lez-Dijon, 1824.