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MARGOT.

à entrer ; il devint rouge comme le feu et se sauva à toutes jambes.

— C’est donc vrai que vous me trouvez jolie ? se répéta Margot à voix basse en se promenant seule dans le parc, lorsque sa famille fut partie. Mais quelle hardiesse ont les garçons pour dire des choses pareilles devant tout le monde ! Moi qui n’ose pas le regarder en face, comment se fait-il qu’il me dise tout haut une chose que je ne puis entendre sans rougir ? Il faut que ce soit chez lui une grande habitude, ou qu’il le regarde comme indifférent ; et pourtant, dire à une fille qu’on la trouve jolie, c’est beaucoup, cela ressemble un peu à une déclaration d’amour.

À cette pensée, Margot s’arrêta, et se demanda ce que c’était, au juste, qu’une déclaration d’amour. Elle en avait beaucoup entendu parler, mais elle ne s’en rendait pas compte bien clairement. Comment dit-on qu’on aime ? se demandait-elle, et elle ne pouvait se figurer que ce fût seulement en disant : Je vous aime. Il lui semblait que ce devait être bien autre chose, qu’il devait y avoir pour cela un secret, un langage particulier, quelque mystère plein de péril et de charme. Elle n’avait jamais lu qu’un roman, j’ignore quel en était le titre ; c’était un volume dépareillé qu’elle avait trouvé dans le grenier de son père ; il y était question d’un brigand sicilien qui enlevait une religieuse, et il s’y trouvait bien quelques phrases inintelligibles qu’elle avait jugées devoir être des paroles d’amour ; mais elle avait entendu dire au curé que tous les romans n’étaient que des sottises, et c’était la vérité seule qu’elle brûlait de connaître ; mais à qui oser la demander ?

La chambre de Gaston, à la Honville, n’était plus si près qu’à Paris. Plus de coups d’œil furtifs, plus de bruit d’espagnolette. Tous les jours, à cinq heures du matin, la cloche résonnait faiblement. C’était le garde-chasse qui réveillait Gaston, la cloche se trouvant près de sa fenêtre. Le jeune homme se levait et partait pour la chasse. Cachée derrière sa persienne, Margot le voyait, entouré de ses chiens, le fusil au poing, monter à cheval et se perdre dans le brouillard qui couvrait les champs. Elle le suivait des yeux avec autant d’émotion que si elle eût été une châtelaine captive dont l’amant partait pour la Palestine. Il arrivait souvent que Gaston, au lieu d’ouvrir le premier échalier, le faisait franchir à son cheval. Margot, à cette vue, poussait des soupirs ignorés, mais à la fois bien doux et bien cruels. Elle se figurait qu’à la chasse on courait les plus grands dangers. Quand Gaston rentrait le soir, couvert de poussière, elle le regardait des pieds à la tête pour s’assurer qu’il n’était point blessé, comme