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DES THÉORIES ET DES AFFAIRES EN POLITIQUE.

monde, il n’y aurait droit de cité que pour certains lieux communs qu’on ne se donnerait même plus la peine de renouveler de temps à autre. Il n’en saurait être ainsi, et puisque la liberté de la presse est le droit commun du pays, apparemment elle appartient à toutes les individualités, à toutes les intelligences. Le journal est un fait nécessaire dans la civilisation moderne, et il reflète naturellement les qualités particulières à chaque pays. Ainsi, en Allemagne, il contiendra surtout des faits qu’il soumet à la méditation calme des lecteurs ; en France, il offrira plus de réflexions que de détails positifs, plus de déclamations brillantes ou vulgaires, suivant la plume qui rédige ses colonnes, que de récits fidèles et de matériaux historiques. Cette tournure de l’esprit national rend plus nécessaire chez nous que partout ailleurs une certaine indépendance vis-à-vis du public de la part des écrivains. Nous voudrions être bien compris sur cet objet important. Sans doute tout journal prend, avant tout, son point d’appui dans la pensée moyenne du pays ; il n’a pas mission d’être l’organe des intelligences originales qui préfèrent ordinairement marcher seules et se déployer librement dans la voie qu’elles auront choisie. Nous concevons aussi que tout journal appartient à un certain groupe d’opinions, de préjugés, de passions, qu’il s’est chargé de satisfaire et d’entretenir. Mais nous voudrions que, tout en souscrivant à ces conditions inévitables, chaque feuille qui aspire à être vraiment une tribune politique eût ses heures de justice et d’impartialité envers tous, envers ses adversaires comme envers son propre parti ; nous désirerions qu’on sentît dans chaque association de la presse une certaine liberté morale qui eût la force, quand il le faut, de combattre les erreurs où peut tomber le public, et de reconnaître aussi les services et les mérites du pouvoir. De cette façon, un journal politique se proposerait un double but : d’une part, il serait le reflet de la société et d’une opinion ; de l’autre, il ne craindrait pas d’en être aussi le moniteur, et ce courage accroîtrait sa puissance. Autrement les feuilles quotidiennes, tout en restant une nécessité sociale, n’atteindront pas les nobles résultats qu’elles devraient ambitionner, et pourraient perdre l’estime du public, même en le flattant. Il arriverait aussi que les esprits indépendans et sincères, qui suivent avec attention les progrès et les changemens de la société pour mieux la servir, seraient conduits à entrer en désaccord et en lutte avec elles. Ces observations que nous croyons justes, sont-elles un symptôme d’inimitié contre la liberté de la presse ? ne témoignent-elles pas au contraire du vif désir de voir cette liberté utile à tous, honorée de