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Sadducéens, de thérapeutes, d’adorateurs de Jéhovah, de Mithra, de Sérapis ? Dirons-nous que cette vague multitude, oubliant les différences d’origines, de croyances, d’institutions, s’est soudainement réunie en un seul esprit, pour inventer le même idéal, pour créer de rien et rendre palpable à tout le genre humain le caractère qui tranche le mieux avec tout le passé, et dans lequel on découvre l’unité la plus manifeste ? On avouera au moins que voilà le plus étrange miracle dont jamais on ait entendu parler, et que l’eau changée en vin n’est rien auprès de celui-là ! Cette première difficulté en entraîne une seconde ; car, loin que la plèbe de la Palestine ait elle-même inventé l’idéal du Christ, quelle peine ces intelligences endurcies n’avaient-elles pas à comprendre le nouvel enseignement ? Ce qui demeure de la lecture de l’Évangile, si on la fait sans système conçu par avance, sans raffinemens, sans subtilité, n’est-ce pas que la foule et les disciples eux-mêmes sont toujours disposés à saisir les paroles du Christ dans le sens de l’ancienne loi, c’est-à-dire dans le sens matériel ? N’y a-t-il pas une contradiction perpétuelle entre le règne tout spirituel annoncé par le maître, et le règne temporel attendu par le peuple ? La plupart des paraboles ne finissent-elles pas par ces mots ou d’autres équivalens : « À la vérité, il parlait ainsi, mais eux ne l’entendaient pas ? » Preuve manifeste, preuve irréfragable que l’initiative, l’enseignement, c’est-à-dire l’idéal, ne venaient pas de la foule, mais qu’ils appartenaient à la personne, à l’autorité du maître, et que la révolution religieuse, avant d’être acceptée par le plus grand nombre, a été conçue et imposée par un législateur suprême.

Si quelque chose distingue le christianisme des religions qui l’ont précédé, c’est qu’il est l’apothéose, non plus de la nature en général, mais de la personnalité même. Voilà son caractère dans son commencement et dans sa fin, dans ses monumens et dans ses dogmes. Comment ce caractère manquerait-il à son histoire ? S’il n’eût dominé exclusivement dans l’institution nouvelle, celle-ci n’eût été qu’une secte de la grande mythologie de l’antiquité. Au contraire, le genre humain l’en a profondément distinguée, parce qu’elle s’est en effet établie sur un fondement nouveau. Le règne intérieur d’une ame qui se trouve plus grande que l’univers visible, voilà le miracle permanent de l’Évangile. Or, ce prodige n’est pas une illusion, ni une allégorie, c’est une réalité. De la même manière que, dans le paganisme, la nature palpable, la mer, la nuit primitive, le chaos sans rive, ont servi de base véritable aux inventions des peuples, de même ici l’ame infinie du Christ a servi de fondemens à toute la théo-