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rinthe, un jardin, un champ, un désert, et n’y voit que manque de goût, de précision de clarté : — Quand il rencontre ce vers tout pétillant :

In folly’s cup still laughs the bubble, joy,
la joie, cette bulle d’eau, rit dans la coupe de la folie, il le supprime. Il est bien plus que l’abbé Delille de l’école directe de Boileau et de Racine.

Il est mieux que de l’école, il est du sentiment tendre et de l’inspiration émue de ce dernier dans la Chartreuse et dans le Jour des Morts. Racine jeune, Racine déjà revenu d’Uzès et à la veille d’Andromaque, Racine né au XVIIIe siècle, ayant beaucoup lu, au lieu de Théagène et Chariclée, l’Épître de Colardeau, et se promenant, non pas à Port-Royal, mais au Luxembourg, aurait pu écrire la Chartreuse.

La manière littéraire a beau changer ; les formes du style ont beau se renouveler, se vouloir rajeunir, et, même en n’y réussissant pas toujours, faire pâlir du moins la couleur des styles précédens ; les idées, sinon la pratique, en matière de goût et d’art sévère, ont beau s’élever, s’affermir, s’agrandir, je le crois, par une comparaison plus studieuse et plus étendue : il est des impressions heureuses, faciles, touchantes, qui, dans de courtes productions, tirent leur principal intérêt du cœur, et qui durent sous un crayon un peu effacé. La lecture de la Chartreuse, si l’on a l’imagination sensible, et si l’on n’a pas l’esprit barré par un système, cette lecture mélodieuse et plaintive, faite à certaine heure, à demi-voix, produira toujours son effet, émouvra encore et finira par mêler vos pleurs à ceux du poète :

Cloître sombre, où l’amour est proscrit par le Ciel ;
Où l’instinct le plus cher est le plus criminel,
Déjà, déjà ton deuil plaît moins à ma pensée !
L’imagination, vers tes murs élancée,
Chercha leur saint repos, leur long recueillement ;
Mais mon ame a besoin d’un plus doux sentiment.
Ces devoirs rigoureux font trembler ma faiblesse.
Toutefois, quand le temps, qui détrompe sans cesse,
Pour moi des passions détruira les erreurs,
Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs ;
Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète ;
Dans ces momens plus doux, et si chers au poète,