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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

aurait eues si vives durant la révolution et de nos jours, Fontanes les a eues et nous les représente, et non par routine ni par tradition, mais bien vives, bien senties, bien originales aussi ; il était né tel. De la famille de Racine par le cœur et par les vers, il touchait à Voltaire par l’esprit et par le ton courant. Très aisément son tact fin tressaillait offensé, irrité : son accent se faisait moqueur ; et, en même temps, sa veine de poète sensible, et son imagination plutôt riante, n’en souffraient pas. Qu’on approuve ou non, il faut convenir que tout cela constitue en M. de Fontanes un ensemble bien varié et qui se tient, une nature, un homme enfin.

Or, il n’aimait pas les femmes savantes, les femmes politiques, les femmes philosophes. S’il ne faisait dès-lors que prévoir et redouter ce qui s’est émancipé depuis, il doit sembler, comme, au reste, en un bon nombre de ses jugemens, beaucoup moins étroit que prompt. En admirateur du XVIIe siècle, il permettait sans doute à Mme de Sévigné ses lettres, à Mme de Lafayette ses tendres romans ; il aurait passé à Mme de Staël ses Lettres sur Jean-Jacques, comme probablement il tolérait ses vers d’élégie chez Mme Dufresnoy ; mais c’était là l’exception et l’extrême limite. Une célébrité plus active, l’influence politique surtout, et l’expression métaphysique, le révoltaient chez une femme, et lui paraissaient tellement sortir du sexe, qu’à lui-même il lui arriva, cette fois, de l’oublier. Mme de Staël ne se vengea qu’en retrouvant à l’instant son rôle de femme qu’on l’accusait d’abandonner, et en le marquant par la bonne grace supérieure et inaltérable de ses réponses[1].

Pour revenir au Mémorial, l’ensemble de la rédaction de Fontanes dans cette feuille nous montre un esprit dès-lors aussi mûr en tout que distingué, qui ne reviendra plus sur ses impressions, et qui, dans la science de la vie, est maître de ses résultats. La connaissance de cette rédaction est précieuse en ce qu’elle nous le révèle, à cette époque d’entière indépendance, essentiellement tel, au fond, qu’il se développera plus tard dans ses rôles publics et officiels ; avec tous ses principes, ses sentimens, ses aversions même ; journaliste louant déjà Washington[2], dans le sens où, orateur, il le célébrera devant le premier Consul ; attaquant déjà Mme de Staël, avant qu’on le puisse soupçonner par là de vouloir complaire à quelqu’un.

Mais le pressentiment le plus notable de Fontanes, à cette date,

  1. Elle prit soin, par exemple, de citer un vers du Jour des Morts, au liv. IV, chap. III, de Corinne.
  2. Mémorial, 22 août 1797.