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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

chargés de servir votre impatience, et le pape, dit-on, vient de perdre toute sa puissance temporelle ; je m’imagine que vous transporterez le siége de la nouvelle république lombarde au milieu de cette Rome pleine d’antiques souvenirs, et qui pourra s’instruire encore sous vous à l’art de conquérir le reste de l’Italie.

« On prétend qu’à ce propos le ministre Acton disait naguère au roi de Naples : — Sire, les Français ont déjà la moitié du pied dans la botte. Encore un coup, et ils l’y feront entrer tout entier. — Acton pourrait bien avoir raison. Qu’en dites-vous ?

« Mais je soupçonne encore de plus vastes combinaisons. Le théâtre de l’Italie est déjà trop étroit pour la grandeur de vos vues. Je rêve souvent à vos correspondances avec les anciens peuples de la Grèce, et même avec leurs prêtres, avec leur papa ; car, en habile homme, vous avez soin de ne pas vous brouiller avec les opinions religieuses.

« Une insurrection des Grecs contre les Turcs qui les oppriment est un évènement très probable, si on vous laisse faire, et si Aubert Dubayet[1] vous seconde. L’insurrection peut se communiquer facilement aux janissaires, et l’histoire ottomane est déjà pleine des révolutions tragiques dont ils furent les instrumens.

« Ainsi, je ne serais point étonné que vous eussiez conçu le projet hardi de planter à la fois l’étendard français sur les murs du Vatican et sur les tours du sérail, dans la capitale des états chrétiens et dans celle de Mahomet. Ce serait, il faut en convenir, une étrange manière de renouveler l’empire d’Orient et celui d’Occident. Mais vous m’avez accoutumé aux prodiges ; et ce qu’il y a de plus invraisemblable est toujours ce qui s’exécute le plus facilement depuis l’origine de la révolution française.

« Que dire alors du ministre ottoman et de celui de sa sainteté, qui sont reçus le même jour au directoire, qui se visitent fraternellement, et qui s’amusent à l’Opéra français, à nos jardins de Bagatelle et de Tivoli, tandis qu’on s’occupe en secret du sort de Rome et de Constantinople ?

« En vérité, brave général, vous devez bien rire quelquefois, du haut de votre gloire, des cabinets de l’Europe et des dupes que vous faites.

« Vous préparez de mémorables évènemens à l’histoire. Il faut l’avouer, si les rentes étaient payées, et si on avait de l’argent, rien ne serait plus intéressant au fond que d’assister aux grands spectacles

  1. Ambassadeur à Constantinople.