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ÉCRIVAINS MORALISTES ET CRITIQUES DE LA FRANCE.

peine à accepter cela. Il se débarrassa vite pourtant de ce qui n’était pas digne de lui dans ce premier enthousiasme de la jeunesse ; cette boue des Mercier et des Rétif ne lui passa jamais le talon : il réalisa de bonne heure cette haute pensée : « Dans le tempéré, et dans tout ce qui est inférieur, on dépend malgré soi des temps où l’on vit, et, malgré qu’on en ait, on parle comme tous ses contemporains.

« Mais dans le beau et le sublime, et dans tout ce qui y participe en quelque sorte que ce soit, on sort des temps, on ne dépend d’aucun, et dans quelque siècle qu’on vive, on peut être parfait, seulement avec plus de peine en certains temps que dans d’autres. » Il devint un admirable juge du style et du goût français, mais avec des hauteurs du côté de l’antique qui dominaient et déroutaient un peu les perspectives les plus rapprochées de son siècle.

Bien avant de Maistre et ses exagérations sublimes, il disait de Voltaire :

« Voltaire a, comme le singe, les mouvemens charmans et les traits hideux. »

« Voltaire avait l’ame d’un singe et l’esprit d’un ange. »

« Voltaire est l’esprit le plus débauché ; et ce qu’il y a de pire, c’est qu’on se débauche avec lui. »

« Il y a toujours dans Voltaire, au bout d’une habile main, un laid visage. »

« Voltaire connut la clarté, et se joua dans la lumière, mais pour l’éparpiller et en briser tous les rayons comme un méchant. »

Je ne me lasserais pas de citer ; et pour le style, pour la poésie de Voltaire, il n’est pas plus dupe que pour le caractère de sa philosophie :

« Voltaire entre souvent dans la poésie, mais il en sort aussitôt ; cet esprit impatient et remuant ne peut pas s’y fixer, ni même s’y arrêter un peu de temps. »

« Il y a une sorte de netteté et de franchise de style qui tient à l’humeur et au tempérament, comme la franchise au caractère.

« On peut l’aimer, mais on ne doit pas l’exiger.

« Voltaire l’avait, les anciens ne l’avaient pas. »

Le style de son temps, du XVIIIe siècle, ne lui paraît pas l’unique dans la vraie beauté française :

« Aujourd’hui-le style a plus de fermeté, mais il a moins de grace ; on s’exprime plus nettement et moins agréablement ; on articule trop distinctement, pour ainsi dire. »

Il se souvient du XVIe, du XVIIe siècle et de la Grèce ; il ajoute avec un sentiment attique des idiotismes :