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« Il y a, dans la langue française, de petits mots dont presque personne ne sait rien faire. »

Ce Gil-Blas, que Fontanes lui citait, n’était son fait qu’à demi :

« On peut dire des romans de Lesage, qu’ils ont l’air d’avoir été écrits dans un café, par un joueur de dominos, en sortant de la comédie. »

Il disait de La Harpe : « La facilité et l’abondance avec lesquelles La Harpe parle le langage de la critique lui donnent l’air habile, mais il l’est peu. »

Il disait d’Anacharsis : « Anacharsis donne l’idée d’un beau livre et ne l’est pas. »

Maintenant on voit, ce me semble, apparaître, se dresser dans sa hauteur et son peu d’alignement, cette rare et originale nature. Il portait dans la critique non écrite, mais parlée, à cette fin du XVIIIe siècle, quelque chose de l’école première d’Athènes ; l’abbé Arnaud ne lui suffisait pas et lui semblait malgré tout son esprit et son savoir en contre-sens perpétuel avec les anciens. Que n’a-t-il rencontré André Chénier, ce jeune grec contemporain ? Comme ils se seraient vite entendus dans un même culte, dans le sentiment de la forme chérie ! Mais M. Joubert était bien autrement platonicien de tendance et idéaliste :

« C’est surtout dans la spiritualité des idées que consiste la poésie. »

« La lyre est en quelque manière un instrument ailé. »

« La poésie à laquelle Socrate disait que les Dieux l’avaient averti de s’appliquer, doit être cultivée dans la captivité, dans les infirmités, dans la vieillesse.

« C’est celle-là qui est les délices des mourans. »

« Dieu, ne pouvant pas départir la vérité aux Grecs, leur donna la poésie. »

« Qu’est-ce donc que la poésie ? Je n’en sais rien en ce moment ; mais je soutiens qu’il se trouve dans tous les mots employés par le vrai poète, pour les yeux un certain phosphore, pour le goût un certain nectar, pour l’attention une ambroisie qui n’est point dans les autres mots. »

« Les beaux vers sont ceux qui s’exhalent comme des sons ou des parfums. »

« Il y a des vers qui, par leur caractère, semblent appartenir au règne minéral ; ils ont de la ductilité et de l’éclat. D’autres au règne végétal ; ils ont de la sève.