Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/701

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
697
LA PUCELLE DE VOLTAIRE.

Dans un champ-clos, près d’en venir aux mains,
Tous deux charmés, dans leurs nobles querelles,
De soutenir leur patrie et leurs belles…
En tierce, en quarte, ils joignent leurs épées,
L’une par l’autre à tout moment frappées…
Ils s’acharnaient à cette noble escrime,
Voulant mourir, pour jouir de l’estime
De leur maîtresse, et pour bien décider
Quelle beauté doit à l’autre céder,
Lorsqu’un bandit des états du saint-père
Avec sa troupe entra dans ces cantons.

Le bandit enlève les maîtresses et le bagage des chevaliers.

Les champions tenaient toujours en l’air,
À poing fermé, leurs brandissantes lames,
Et ferraillaient pour l’honneur de ces dames.
……… « Oh ! oh ! dit le Breton,
« Dieu me pardonne, on nous a pris nos belles.
« Nous nous donnons cent coups d’estramaçon
« Très sottement ; courons vite après elles ;
« Reprenons-les, et nous nous rebattrons
« Pour leurs beaux yeux, quand nous les trouverons.
L’autre en convient ; et, différant la fête,
En bons amis ils se mettent en quête
De leur maîtresse. À peine ils font cent pas,
Que l’un s’écrie : « Ah ! la cuisse ! ah ! le bras ! »
L’autre criait : « La poitrine et la tête ! »


Que dites-vous de cette aventure chevaleresque, de ces plaintes, de ces cris qui sentent le malade d’hôpital, et qu’en eût pensé l’Arioste lui-même ?

C’était la première fois que la poésie traitait les chevaliers de cette façon ; mais c’est qu’avec Voltaire la poésie s’était mise au service de l’esprit philosophique. Or, entre l’esprit philosophique et la chevalerie, il y avait long-temps déjà que la querelle avait éclaté. Le patriarche de l’esprit philosophique en Europe, Érasme, avait commencé la guerre. Dès le XVIe siècle, dès que les esprits voulurent réformer ou détruire l’ordre social du moyen-âge, ils sentirent qu’il fallait attaquer la chevalerie, la féodalité, le métier des armes ; car les deux principes du pouvoir au moyen-âge étaient l’épée et la terre, c’est-à-dire la propriété acquise et conservée par la force du glaive. Ainsi je trouve dans Érasme un dialogue fort piquant entre un chartreux et un homme d’armes. Dans ce dialogue, on débat les