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jeunes et ardens de l’envie qu’ils pourraient avoir quelque jour de revenir sur leurs pas ? N’est-il pas utile de les convaincre qu’ils sont condamnés à perpétuité à attaquer l’ordre social tout entier, sous peine de se voir attaqués dans leur talent, dans leur probité et jusque dans leurs mœurs, car l’opposition ne s’est refusé aucun de ces nobles moyens de vengeance contre M. Lerminier.

Revenu depuis deux années de quelques-unes de ces illusions que presque tous les esprits actifs ont partagées, M. Lerminier avait vu le néant de certaines doctrines dont la France entière a fait justice. La virulence toujours croissante des partis avait été l’un des plus puissans motifs de la conversion de M. Lerminier ; et, en se séparant définitivement de l’opposition, il lui expliqua, en termes aussi sages que modérés, les causes de son éloignement. On sait quels outrages a valus à M. Lerminier cette démarche pleine de loyauté et de franchise. Les désordres du Collége de France y ont mis le comble. La brutalité a achevé l’œuvre de la calomnie ; et l’opposition a sujet de se féliciter, en effet. Les hommes de mérite qu’elle compte dans son sein savent ce qui les attend quand, une fois au pouvoir, ils seront forcés de soutenir l’ordre public et de défendre les institutions.

Il est vrai que M. Lerminier avait commis une action bien noire ! Il s’était laissé corrompre par le gouvernement ! Un homme laborieux, qui avait débuté, il y a dix ans, comme professeur, par l’enseignement libre, un docteur en droit, un professeur de législation, avait été nommé maître des requêtes au conseil d’état en service extraordinaire ; et, pour comble de faveur, on lui avait accordé le droit de participer aux travaux d’un des comités, c’est-à-dire de servir gratuitement l’état, de lui consacrer, sans rémunération, son temps et ses lumières ! Les doctrinaires et le centre gauche ont eu beau accorder le titre de maître des requêtes à des jeunes gens qui n’avaient jamais pris leurs degrés en droit, à des écrivains qui les soutenaient, et qui n’avaient pas même l’âge requis par les réglemens, la morale et la pureté n’ont pas moins trouvé un refuge dans leurs rangs, et le pouvoir actuel n’est pas moins accusé par eux de s’appuyer sur la corruption ! Qui sait si ce ne sont pas ceux-là même qui ont été l’objet de ces faveurs, qui sont les plus ardens à poursuivre M. Lerminier ! L’indignation des conseillers d’état en service ordinaire et des fonctionnaires bien pourvus de traitemens et de dignités, qui figurent dans l’opposition, n’a sans doute pas manqué non plus à l’homme studieux qui venait de recevoir la modeste récompense de ses travaux ! L’intérêt de la morale, comme l’entendent certaines gens, est si grand, qu’il doit passer avant le devoir et la reconnaissance !

Il n’y a toutefois pas moins de logique à attaquer et à outrager M. Lerminier qu’à accuser le ministère de corruption. La presse hostile au gouvernement de juillet agit à bon escient. Elle travaille ainsi à la fois à retenir ses prosélytes par la crainte, et à isoler le gouvernement. Mais quel état monarchique se maintiendrait avec de tels principes ? Quel gouvernement pourrait durer en repoussant tous les hommes de talent qui auraient été autrefois en dissidence avec lui ? Quel ordre social serait-ce donc que celui où toutes