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peut être taxé que de son propre consentement, par octroi libre, non par contrainte. Il y avait là un fonds d’esprit de liberté politique, qui n’existait ni dans le clergé, ni dans la bourgeoisie ; il y avait aussi un sentiment d’affection pour le royaume de France, pour le pays natal dans toute son étendue, que n’avaient, au même degré, ni l’une ni l’autre de ces deux classes. Mais c’était un amour de propriétaires plutôt que de citoyens, qui n’embrassait la destinée, les droits, les intérêts que d’un petit nombre de familles, un esprit de conservation aveugle dans ses entêtemens, qui s’opiniâtrait pour le maintien de toute vieille coutume, contre la raison et le bien général ; qui, par exemple, déplorait, comme la ruine de toute franchise et une honte pour le pays, la tentative de substituer au combat judiciaire la procédure par témoins : « Vous n’êtes plus francs, vous êtes jugés par enquête, dit une chanson du XIIIe siècle. La douce France, qu’on ne l’appelle plus ainsi, qu’elle ait nom pays de sujets, terre des lâches !…[1] »

La plus nette et la moins altérée des traditions historiques appartenait à la bourgeoisie, et se conservait isolément dans les grandes villes, jadis capitales de province ou cités de la Gaule impériale. Les habitans de Reims se souvenaient, au XIIe siècle, de l’origine romaine de leur constitution municipale ; ils disaient avec orgueil que la loi de leur ville, sa magistrature et sa juridiction remontaient jusqu’au temps de saint Remy, l’apôtre des Franks[2]. Les bourgeois de Metz se vantaient d’avoir usé de droits civils avant qu’il existât un pays de Lorraine, et parmi eux courait ce dicton populaire : Lorraine est jeune et Metz ancienne[3]. À Lyon, à Bourges, à Boulogne, on soutenait qu’il y avait eu, pour la cité, droit de justice et d’administration libre,

  1. Gent de France, mult estes ébahie,
    Je di à touz ceus qui sont nez des fiez :
    Se m’aït Dex, franc n’estes vos mès mie,
    Mult vous a l’en de franchise esloigniez ;
    Car vous estes par enqueste jugiez,…
    Douce France n’apiaut l’en plus ensi,
    Ainçois ait nom le païs aus sougiez,
    Une terre acuvertie.

    (Manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal, no 63 B. L., fo 366, col. 2.

  2. Dummodo eos jure tractaret et legibus vivere pateretur quibus civitas continuò usa est à tempore sancte Remigii Francorum apostoli. (Joannis Sarisberiensis epistola ad Joannem Pictavensem episcopum, apud script. rerum Gallic. et Franc., tom. XVI, pag. 368.)
  3. Metz usait jà de droit civile
    Avant qu’en Lohereigne y eut bonne ville ;
    Lohereigne est jeune et Metz ancienne.

    (Chronique en vers des Antiquités de Metz ; Histoire de Lorraine,
    par dom Calmet, tom. II, preuves, col. CXXIV.)