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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

avant que la France fût en royaume[1]. Arles, Marseille, Périgueux, Angoulême, et de moindres villes du midi, simples châteaux sous l’empire romain, croyaient leur organisation semi-républicaine antérieure à la conquête franke et à toutes les seigneuries du moyen-âge. Toulouse, jouant sur le nom appliqué par elle à son corps de magistrature, se donnait un capitole, à l’exemple de Rome[2]. Cette conviction de l’ancienneté immémoriale d’un droit urbain de liberté civile et de liberté politique fut le plus grand des appuis moraux que trouva la bourgeoisie dans sa lutte contre l’envahissement féodal et contre l’orgueil de la noblesse. Partout où elle exista, elle fit naître un vif sentiment de patriotisme local, sentiment énergique, mais trop borné, qui s’enfermait trop volontiers dans l’enceinte d’un mur de ville, sans souci du pays, et regardait les autres villes comme des états à part, amis ou ennemis au gré de la circonstance et de l’intérêt.

Voilà quels étaient, à l’époque du grand mouvement de la révolution communale, l’opinion et l’esprit public dans les vieilles cités gauloises, où, après l’établissement des dominations germaniques, s’était concentrée la vie civile, héritage du monde romain. Cet esprit se répandait, de proche en proche, dans les villes d’une date plus nouvelle, dans les communes récemment fondées et dans les bourgades affranchies ; il donnait aux classes roturières occupées de commerce et d’industrie ce qui fait la force dans les luttes politiques, des souvenirs, de la fierté et de l’espérance. Quant à la classe des laboureurs, des vilains, comme on disait alors, elle n’avait ni droits, ni traditions héréditaires ; elle ne suivait point dans le passé et ne marquait à aucun évènement l’origine de sa condition et de ses misères ; elle l’aurait tenté en vain. Le servage de la glèbe, de quelque nom qu’on l’appelât, était antérieur sur le sol gaulois à la conquête des Barbares ; cette conquête avait pu l’aggraver, mais il s’enfonçait dans la nuit des siècles et avait sa racine à une époque insaisissable, même pour l’érudition de nos jours. Toutefois, si aucune opinion sur les causes de la servitude n’avait cours au moyen-âge, cette grande injustice des siècles écoulés, couvre des invasions d’une race sur l’autre et des usurpations graduelles de l’homme sur l’homme, était ressentie par ceux qui la subissaient, avec une profonde amertume. Déjà s’élevait, contre les oppressions du régime féodal, le cri de haine qui

  1. Loyseau, Traité des Seigneuries, édition de 1701, pag. 101. — Dubos, Histoire critique de l’établissement de la monarchie française, tom. IV, pag. 300.
  2. Ibid., pag. 302. — Raynouard, Histoire du Droit municipal, tom. II, pag. 182, 249, 352. — Savigny, Histoire du Droit romain au moyen-âge.