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de savoir se tournèrent avec ardeur vers les manuscrits du moyen-âge et la recherche des antiquités nationales. On tira du fond des bibliothèques et des archives, et l’on se mit à imprimer et à commenter pour le public, les monumens presque oubliés de la vraie histoire de France. Grégoire de Tours et Frédégaire, la vie de Charlemagne et les annales de son règne écrites par un contemporain, d’autres chroniques originales, les lois des Franks et un certain nombre de diplômes de la première et de la seconde race furent publiés. Une science nouvelle, fondée sur l’étude des documens authentiques et des sources de notre histoire, se forma dès-lors, et entra en lutte avec les opinions propagées par des traditions vagues et par la lecture de chroniques fabuleuses ou complètement inexactes. La plus générale de ces opinions et en même temps la moins solide, celle de l’origine troyenne des Franks, fut la première attaquée, et elle ne put se soutenir, quoiqu’il y eût en sa faveur une sorte de résistance populaire[1]. Les personnes lettrées y renoncèrent promptement et mirent à sa place deux opinions entre lesquelles la science se partagea, l’une qui rangeait les Franks, ou, comme on disait, les Français, parmi les peuples de race germanique, l’autre qui les faisait descendre de colonies gauloises émigrées au-delà du Rhin et ramenées plus tard dans leur ancienne patrie[2]. Mais ce ne fut pas sans de grands efforts de logique, sans de grandes précautions oratoires que les érudits parvinrent à donner cours à ces nouveautés malsonnantes, et le gros du public tint long-temps encore à sa chère descendance troyenne. Cette bizarre prétention de vanité nationale, poursuivie par le ridicule dès la fin du XVIe siècle ne disparut entièrement des livres d’histoire qu’après le milieu du XVIIe.

Quant aux diverses traditions sociales et aux questions qu’elles soulevaient, elles ne pouvaient être aussi aisément tranchées par la science. Non-seulement elles avaient de profondes racines dans les mœurs et les passions des classes d’hommes pour qui elles formaient, chacune à part, un symbole de foi politique, mais encore elles s’appuyaient toutes, plus ou moins, sur un fondement réel et historique. Il était vrai qu’il y avait eu conquête du sol de la Gaule et partage

  1. Voilà l’opinion de nos Français sur l’étymologie de leur nom, laquelle, si quelqu’un voulait leur ôter, il commettrait (selon leur jugement) un grand crime ou pour le moins il serait en danger de perdre temps. (Du Haillan, Histoire générale des rois de France, discours préliminaire.)
  2. Cette dernière opinion fut soutenue par Jean Bodin, dans le livre intitulé Methodus ad facilem historiarum cognitionem (1566), et par Étienne Forcadel, dans son traité de Gallorum imperio et philosophiâ (1569).