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que relativement à l’expulsion des Romains, et qu’à l’égard des Gaulois elle est demeurée en l’état où elle était de toute ancienneté. Les formes du style et l’expression appartiennent ici, comme la pensée, à l’écrivain du XVIIe siècle[1]. Une fois poussés par le désir de complaire à la vanité nationale, les esprits systématiques ne s’en tinrent pas là et atteignirent bientôt les dernières limites de l’absurde. Dans un livre publié en 1676 et intitulé : De l’origine des Français et de leur empire, tous les conquérans du Ve siècle, tous les destructeurs de l’empire romain, les Goths, les Vandales, les Burgondes, les Hérules, les Huns eux-mêmes, devinrent frères des Gaulois. L’auteur, ne doutant pas du succès de sa découverte, en parlait ainsi : « La nation se trouvera par là, d’une manière aussi solide qu’imprévue, n’avoir qu’une même origine avec ce que le monde a jamais eu de plus terrible, de plus brave et de plus glorieux[2] » ; et le Journal des savans disait de cette opinion extravagante : « Il n’y en a pas qui soit allée plus avant et qui soit plus glorieuse à la nation[3]. »

C’est surtout en Allemagne que le système des colonies gauloises devait trouver des contradicteurs, soit à cause des progrès de ce pays dans les véritables voies de l’histoire, soit par un sentiment étranger à la science, la rivalité d’orgueil national, et l’envie de conserver à la race teutonique l’honneur d’avoir produit les Franks. Il paraît même que la crainte des envahissemens de la France et de l’ambition de Louis XIV fut un aliment pour cette controverse, et que la démonstration de l’origine purement germaine des conquérans de la Gaule figurait dans des diatribes contre le projet supposé d’une monarchie universelle[4]. Du reste, la querelle scientifique entre les deux pays se prolongea long-temps, et dura plus que les desseins ambitieux, et même que la vie du grand roi. Les partisans de l’identité de races entre les Gaulois et les Franks eurent, pour appui le plus solide, l’autorité d’un savant jésuite, le père Lacarry, qui traita ce sujet sans ridicule[5], et leur plus célèbre adversaire fut un homme de génie, Leibnitz. Dans sa dissertation latine sur l’origine des Franks, publiée en 1715, il définit avec une grace maligne la méthode conjec-

  1. Traité des Fiefs et de leur origine, pag. 43.
  2. De l’Origine des Français et de leur empire, par Audigier, tom. I, préface.
  3. Journal des Savans du 29 mars 1677.
  4. De non sperandâ novâ monarchiâ dialogus, Ratisbonne, 1681. Voy. Meusel, Bibliothèque historique, tom. VII, pag. 212.
  5. Historia coloniarum tum à Gallis in exteras nationes missarum, cùm exterarum nationum in Gallias deductarum, auctore Ægidio Lacarry (1677).