Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/745

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
741
DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

turale de ses antagonistes : « C’est du désir, dit-il, non du raisonnement[1]. » Il s’anime davantage dans une réplique en français, où son patriotisme se soulève à l’idée de céder à une nation étrangère les vieux héros de l’indépendance germanique : « Si Arminius a été de race gauloise, sentiment fort nouveau, il faut que les Chérusques aient été une colonie gauloise, chose inouie que je sache…[2] » Leibnitz réussit mieux sur ce point à combattre le faux qu’à établir le vrai, et sa raison si supérieure se laissa égarer dans un système presque aussi hasardé que l’autre ; il fit venir les Franks des rives de la Baltique aux bords du Rhin. Le père Tournemine, jésuite, prit la défense de l’opinion déjà soutenue par un membre distingué de cet ordre, et lui-même se vit réfuté, en 1722, par un bénédictin, dom Vaissette, l’auteur de l’histoire du Languedoc[3]. Ce fut la dernière fois que l’hypothèse patriotique de l’unité de race produisit un débat sérieux entre des hommes de sens et de savoir ; la science française, ramenée dans le droit chemin, venait d’y faire un pas décisif et de se montrer, sur la question de l’origine et de la nationalité des Franks, plus nette et plus exacte que l’érudition germanique.

En l’année 1714, un homme qui a laissé après lui un nom illustre, et qui, jeune alors, n’était qu’élève en titre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, Nicolas Fréret, lut à une assemblée publique de cette académie un mémoire sur l’établissement des Franks au nord de la Gaule. Il annonça, dans le préambule de sa dissertation, que ce travail ne resterait point isolé ; qu’il n’était pour lui que le commencement d’une longue série de recherches ayant pour objet l’état des mœurs et du gouvernement aux diverses époques de la monarchie française[4]. Le jeune érudit, avec une grande sûreté de méthode, résolut, ou, pour mieux dire, trancha cette question de l’origine des Franks posée à faux ou faiblement touchée jusqu’à lui. Ses conclusions peuvent se réduire à trois : « Les Franks sont une « ligue formée au IIIe siècle entre plusieurs peuples de la Basse-Germanie, les mêmes à peu près qui, du temps de César, compo-

  1. Hæc optantis sunt non ratiocinantis. (Leibnitii Opera, tom. IV, pars II, pag. 150.)
  2. Ibid., pag. 173.
  3. Journal de Trévoux du mois de janvier 1716. — Dissertation sur l’origine des Français, où l’on examine s’ils descendent des Tectosages ou anciens Gaulois établis dans la Germanie. Voyez la Bibliothèque historique de la France, par le père Lelong et Feyret de Fontette, tom. II, pag. 19.
  4. Manuscrit original de Fréret, qui doit faire partie de l’édition complète de ses Œuvres, publiée par M. Champollion-Figeac. — Je suis redevable de cette communication à l’obligeance du savant éditeur.