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tant insensiblement affermie dans le déclin de sa postérité, se trouva dominante après l’usurpation de Hugues Capet. — À cette époque, les nobles, encore égaux entre eux, étaient de fait et de droit les seuls grands de l’état ; eux seuls en possédaient les charges et les honneurs ; eux seuls étaient les conseillers du prince ; eux seuls maniaient les finances et commandaient les armées, ou plutôt eux seuls les composaient. — On ignorait les distinctions des titres aujourd’hui en usage ; les Français ne connaissaient point de princes parmi eux, la parenté des rois ne donnait aucun rang. — Deux grands évènemens arrivés dans la monarchie ont amené la ruine graduelle de cet ordre de choses. — Le premier fut l’affranchissement des serfs ou gens de main-morte, dont toute la France était peuplée, tant dans les villes que dans les campagnes, et qui étaient, ou les Gaulois d’origine assujettis par la conquête, ou les malheureux que différens accidens avaient réduits en servitude. — Le second fut le progrès par lequel ces serfs s’élevèrent, contre tout droit, à la condition de leurs anciens maîtres. Depuis six cents ans, les roturiers esclaves, d’abord affranchis, puis anoblis par les rois, ont usurpé les emplois et les dignités de l’état, tandis que la noblesse, l’héritière des priviléges de la conquête, les perdait un à un et allait se dégradant de siècle en siècle[1].

« Tous les rois de la troisième race ont voulu son abaissement et travaillé, comme sur un plan formé d’avance, à la ruine des lois primitives et de l’ancienne constitution de l’état ; ce fut pour eux une idée commune d’anéantir les grands seigneurs, de subjuguer la nation, de rendre leur autorité absolue et le gouvernement despotique. — Philippe-Auguste commença la destruction de la police des fiefs et des droits originels du baronnage ; Philippe-le-Bel poursuivit ce projet par la ruse et par la violence ; Louis XI l’avança près de son terme. — Leur postérité est parvenue au but qu’ils s’étaient proposé, mais, pour l’atteindre pleinement, l’administration du cardinal de Richelieu et le règne de Louis XIV ont plus fait, en un demi-siècle, que toutes les entreprises des rois antérieurs n’avaient pu faire en douze cents ans[2]. »

Ce système à deux faces, l’une toute démocratique tournée vers la royauté, l’autre toute aristocratique tournée vers le peuple, con-

  1. Histoire de l’ancien gouvernement de la France, avec quatorze lettres historiques sur les parlemens ou états-généraux, tom. I, pag. 291, 309, 310, 316, 322 ; tom. II, pag. 1.
  2. Ibid., tom. I, pag. 191, 240, 291, 352 ; tom. III, pag. 135,152.