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de l’éternel paradoxe de la souveraineté de la noblesse, il présente un tableau animé du concours des grandes classes de la nation au gouvernement de l’état, véritable étude d’historien politique d’où ressort le double contraste de la monarchie des états-généraux avec la monarchie absolue, et de l’imposant contrôle des assemblées représentatives avec le contrôle mesquin des parlemens. Boulainvillers fut l’homme des états-généraux, non-seulement comme écrivain, mais comme citoyen ; il en proposa la convocation après la mort de Louis XIV, dans des mémoires présentés au régent. C’est par là que sa renommée de publiciste s’établit à part de son système, et que ses idées politiques eurent de la portée hors de la classe à laquelle, dans ses rêves de liberté exclusive, il voulait borner la nation.

Peu d’hommes de cette classe retrempèrent dans le nouveau système historique leurs vieilles traditions d’indépendance amorties depuis un siècle ; mais tous, ou presque tous, crurent volontiers que leurs familles remontaient jusqu’aux Franks et qu’ils étaient nobles en vertu de la conquête. Un surcroît d’orgueil dont on retrouve la trace dans quelques écrits du temps paraît s’être insinué au cœur des gentilshommes, qui, sur la foi de Boulainvillers, ne virent plus autour d’eux dans la magistrature, les ennoblis, tout le tiers-état, que des fils d’esclaves, esclaves de droit, affranchis par grâce, par surprise ou par rébellion. Ceux dont l’humeur ou les intérêts ne s’accommodaient pas de la portion républicaine du système la rejetèrent et ne prirent que l’autre. C’est ce que fit le duc de Saint-Simon qui a consigné dans quelques pages de ses curieux mémoires l’espèce de version rectifiée qu’il adopta pour son usage. Il y pose, comme fait primitif, non la souveraineté collective et l’égalité de tous les Franks, mais un roi, seul conquérant de la Gaule, distribuant à ses guerriers les terres conquises, selon le grade, les services et la fidélité de chacun. « De là, dit-il, est venue la noblesse, corps unique de l’état, dont les membres reçurent d’abord le nom d’hommes de guerre, puis celui de nobles, à la différence des vaincus, qui, de leur entière servitude, furent appelés serfs[1]. » Il poursuit le développement de cette thèse et disserte sur l’origine des propriétés roturières et la formation du tiers-état, dans un style fort différent de celui de ses peintures de mœurs contemporaines, et dont l’allure embarrassée trahit une grande inexpérience de ces sortes de matières.

Quand bien même l’opinion mise en vogue par le comte de Bou-

  1. Mémoires du duc de Saint-Simon, tom. XI, pag. 367.