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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

lainvillers eût été, ce qu’elle n’était pas, inattaquable du côté de la science, elle aurait inspiré de vives répugnances et trouvé d’ardens contradicteurs. Le tiers-état, qui avait grandi de siècle en siècle sans trop s’inquiéter de ses origines, qui était sorti du règne de Louis XIV, comme de tous les règnes précédens, plus fort, plus riche, plus illustré par les hautes fonctions publiques, ne pouvait accepter patiemment, fût-ce au nom de l’histoire elle-même, une pareille place dans le passé. Aussi les réfutations plébéiennes, mêlées de colère et de raisonnement, ne se firent pas attendre ; un pamphlet remarquable, dont le titre était : Lettre d’un Conseiller du parlement de Rouen, courut quelque temps manuscrit et fut publié en 1730. L’auteur anonyme déclare qu’indigné de voir avilir la majorité de la nation pour rehausser l’état et la gloire de trois ou quatre mille personnes, il veut remettre (c’est lui qui parle) les nobles de niveau avec les citoyens de nos villes et leur donner des frères au lieu d’esclaves[1]. Celui qui se présentait si fièrement contre le champion de la noblesse n’apportait pas dans la controverse une érudition supérieure ; mais il avait une foi complète et presque naïve aux traditions et aux idées de la bourgeoisie. Grace à cette disposition d’esprit, sa polémique fut comme un miroir où vinrent se refléter fidèlement les croyances des hautes classes roturières, leurs désirs, toutes leurs passions, tous leurs instincts bons ou mauvais. On y trouve à la fois le sentiment de l’égalité civile et l’admiration de la richesse, une aversion décidée pour les priviléges de la naissance, et un aveu sans réserve des priviléges de l’argent[2].

Voilà pour les doctrines politiques ; et, quant à l’histoire, le principal argument de l’auteur de la lettre se fonde sur les preuves de la liberté immémoriale des villes de France. Il établit l’existence non interrompue du régime municipal dans un grand nombre de cités, soit du midi, soit du nord de la Gaule, et montre qu’à l’égard de ce droit les souvenirs n’ont jamais péri. Il prouve que les habitans des grandes villes n’eurent jamais besoin d’être exemptés de la servitude personnelle, mais seulement de quelques servitudes réelles et de la justice seigneuriale ; que ce fut là toute la portée de leurs chartes d’affranchissement. Enfin il revendique pour les bourgeois du moyen-âge, avec la liberté civile et politique, l’honneur d’avoir été riches,

  1. Lettre d’un Conseiller du parlement de Rouen au sujet d’un écrit du comte de Boulainvillers, Mémoires de littérature du père Desmolets, tom. IX, pag. 115, 188.
  2. Ibid., pag. 125 et suiv.