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que personnelle. J’en citerai la plus grande partie. Dans cette longue étude sur un sujet aride, où il faut poursuivre des idées, et souvent des fantômes d’idées, à travers des volumes médiocres ou mauvais de style, c’est un charme que de rencontrer enfin quelque chose qui ait la double vie de la pensée et de l’expression.

« Cet ouvrage (le livre de l’Établissement de la monarchie française) a séduit beaucoup de gens, parce qu’il est écrit avec beaucoup d’art, parce qu’on y suppose éternellement ce qui est en question, parce que, plus on y manque de preuves, plus on y multiplie les probabilités, parce qu’une infinité de conjectures sont mises en principe, et qu’on en tire, comme conséquences, d’autres conjectures. Le lecteur oublie qu’il a douté pour commencer à croire. Et comme une érudition sans fin est placée, non pas dans le système, mais à côté du système, l’esprit est distrait par des accessoires et ne s’occupe plus du principal… Si le système de M. l’abbé Dubos avait eu de bons fondemens, il n’aurait pas été obligé de faire trois mortels volumes pour le prouver ; il aurait tout trouvé dans son sujet ; et, sans aller chercher de toutes parts ce qui en était très loin, la raison elle-même se serait chargée de placer cette vérité dans la chaîne des autres vérités. L’histoire et nos lois lui auraient dit : Ne prenez pas tant de peine, nous rendrons témoignage de vous[1]. »

« M. l’abbé Dubos veut ôter toute espèce d’idée que les Francs soient entrés dans les Gaules en conquérans : selon lui, nos rois, appelés par les peuples, n’ont fait que se mettre à la place et succéder aux droits des empereurs romains. Cette prétention ne peut pas s’appliquer au temps où Clovis, entrant dans les Gaules, saccagea et prit les villes ; elle ne peut pas s’appliquer non plus au temps où il défit Syagrius, officier romain, et conquit le pays qu’il tenait : elle ne peut donc se rapporter qu’à celui où Clovis, devenu maître d’une grande partie des Gaules par la violence, aurait été appelé, par le choix et l’amour des peuples, à la domination du reste du pays. Et il ne suffit pas que Clovis ait été reçu, il faut qu’il ait été appelé ; il faut que M. l’abbé Dubos prouve que les peuples ont mieux aimé vivre sous la domination de Clovis, que de vivre sous la domination des Romains ou sous leurs propres lois. Or, les Romains de cette partie des Gaules qui n’avait point encore été envahie par les Barbares étaient, selon M. l’abbé Dubos, de deux

  1. Esprit des Lois, liv. XXX, chap. XXIII.