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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

blique était grandement éveillée par les fragmens donnés au Mercure, puis, en dernier lieu, par Atala. Le parti philosophique, irrité, se tenait à l’affût ; le parti religieux se serrait, s’étendait, s’animait comme à une victoire. M. de Bonald venait au corps de bataille, M. de Châteaubriand ne se considérait qu’à l’avant-garde ; La Harpe, vieilli, était en tête de l’artillerie ; mais on craignait tout bas que, pour le cas présent, ses lingots, d’un trop gros calibre, ne portassent pas très loin. Fontanes servit la pièce en sa place, le coup porta. Dans une seule journée le libraire Migneret vendait pour mille écus, et il parlait déjà d’une seconde édition, la première était tirée à quatre mille exemplaires. La Harpe ne connut d’abord le livre que par le premier extrait de Fontanes ; il envoya aussitôt chercher l’auteur par Migneret. Il était hors de lui : « Voilà de la critique, voilà de la littérature ! Ah messieurs les philosophes, vous avez affaire à forte partie ! voici deux hommes : le jeune homme (c’était Fontanes) est mon élève, c’est moi qui l’ai annoncé. » Et il ajoutait que Fontanes finissait l’antique école, et que Châteaubriand en commençait une nouvelle. Il était même de l’avis de celui-ci contre Fontanes en faveur du merveilleux chrétien réprouvé par Boileau. Il passait, sans marchander, sur les hardiesses, sur les incorrections premières : « Bah ! bah ! ces gens-là ne voient pas que cela tient à la nature même de votre talent. Oh ! laissez-moi faire, je les ferai crier, je serre dur ! » La passion enlevait ainsi le vieux critique au-dessus de ses propres théories ; sa personnalité pourtant, son moi revenait à travers tout, et perçait dans sa trompette. Il s’échauffa si fort à son monologue, qu’il tomba à la fin en une espèce d’étourdissement.

Outre les articles de critique active, Fontanes donna au Mercure[1] un morceau sur Thomas, dans lequel l’élégance la plus parfaite exprime les plus incontestables jugemens. Il n’y a rien de mieux en cette manière ; c’est du La Harpe fini et perfectionné, et plus que cela ; pour une certaine rapidité de goût, c’est du Voltaire. Ainsi, voulant dire de Thomas qu’il savait rarement saisir dans un sujet les points de vue les plus simples et les plus féconds, le critique ajoute : « Il pensait en détail, si l’on peut parler ainsi, et ne s’élevait point assez haut pour trouver ces idées premières qui font penser toutes les autres. »

Mais Fontanes n’était déjà plus un homme privé. Quelque temps employé sous Lucien au ministère de l’intérieur, puis nommé député

  1. Germinal an X.