Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/775

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
771
POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

sante administration. La sage uniformité de vos lois en va réunir de plus en plus tous les habitans. » Le discours parut dans le Moniteur, et, au lieu de la sage uniformité de vos lois, on y lisait de vos mesures. Qu’on n’oublie toujours pas le duc d’Enghien fusillé quatre jours auparavant : le Consul espérait, par cette fraude, confisquer à la mesure l’approbation du corps législatif et de son principal organe. Fontanes, indigné, courut au Moniteur, et exigea un erratum qui fut inséré le 6 germinal, et qu’on y peut lire imprimé en aussi petit texte que possible. Cela fait, il se crut perdu ; de même qu’il avait de ces premiers mouvemens qui sont de l’honnête homme avant tout, il avait de ces crises d’imagination qui sont du poète. En ne le jugeant que sur sa parole habile, on se méprendrait tout-à-fait sur le mouvement de son esprit et sur la vivacité de son ame. Quoi qu’il en soit, il avait quelque lieu ici de redouter ce qui n’arriva pas. Mais Bonaparte fut profondément blessé, et, depuis ce jour, la fortune de Fontanes resta toujours un peu barrée par son milieu. Nous sommes si loin de ces temps, que cela aura peine à se comprendre ; mais, en effet, si comblé qu’il nous paraisse d’emplois et de dignités, certaines faveurs impériales, alors très haut prisées, ne le cherchèrent jamais. Que sais-je ? dotation modique, pas le grand cordon ; ce qu’on appelait les honneurs du Louvre, qu’il eut jusqu’à la fin à titre de sénateur, mais que ne conserva pas Mme de Fontanes, dès qu’il eut cessé d’être président du corps législatif : l’errata du Moniteur, au fond, était toujours là.

Un autre errata s’ajouta ensuite au premier, nous le verrons ; et, même en plein empire, à dater d’un certain moment, il pouvait dire tout bas à sa muse intime dans ses tristesses de l’Anniversaire :

De tant de vœux trompés fais rougir mon orgueil !

Pourtant Fontanes continua, durant quatre années, de tenir sans apparence de disgrace la présidence du corps législatif. Proposé à chaque session par les suffrages de ses collègues, il était choisi par l’empereur. La situation admise, on avait en lui par excellence l’orateur bienséant. Les discours qu’il prononçait à chaque occasion solennelle tendaient à insinuer au conquérant les idées de la paix et de la gloire civile, mais enveloppées dans des redoublemens d’éloges qui n’étaient pas de trop pour faire passer les points délicats. Napoléon avait un vrai goût pour lui, pour sa personne et pour son esprit ; et lui-même, à ces époques d’Austerlitz et d’Iéna, avait, malgré tout, et par son imagination de poète, de très grands restes d’admiration